LIBAN. 🇱🇧 7 - Séisme et ski à Faraya.

 Lundi 20 février 2023, 19h07, la terre tremble au Liban. Quelques secondes d'interrogations, de surprises, d'incompréhension, d'adrénaline. Suivi d'une peur diffuse que tout ne recommence, en bien pire. Dans les rues, les gens courent vers leur véhicule, traumatisés par un passé semblant les suivre. Les routes sont bondées, les parcs noirs de monde, les vidéos sur internet s'enchaînent, témoignant de cette détresse généralisée dans le pays. Et nous, nous ne comprenons rien.




En 551, 1202, 1759, 1937, 1956, 2023, de violents séismes ont dévasté le Moyen-Orient. À Beyrouth, la population est également traumatisée par l'explosion du 4 août 2020. Pendant ces quelques secondes de tremblement, beaucoup se disent "ça recommence". La peur est un phénomène mental d'un niveau plus au moins élevé selon les expériences passées, les images associées, les représentations d'un évènement réitéré. Le passé de Beyrouth met la barre haute pour cette peur. Et pourtant, pas de casse dans la ville cette fois-ci, seule une fracture psychologique.
Victoire prend sa douche et ne ressent rien. Avec Philippine, nous sortons de nos chambres, étonnées. Moi je ne réalise pas bien. Cela fait quelques jours déjà que je sens l'immeuble bouger (sûrement à cause de la fièvre). Cette fois-ci c'est différent car je ne suis pas la seule à le sentir. Nous descendons du bâtiment. Il y a du monde dans la rue. Nous utilisons Google traduction pour poser nos questions. Plus tard, nous échangerons avec de jeunes voisins libanais parlant français et anglais. Eux ne sont pas sereins, leur logement est vieux, mal entretenu. Le notre est neuf, bien ancré dans la sol. Très vite, ils nous parlent de Macron, nous demandent notre avis. Eux l'aiment beaucoup. Ils nous disent "si les français revenaient et reprenaient les rênes du pays, tout irait mieux au Liban". Nous sommes étonnées de les entendre dire ça. Comme s'ils cautionnaient le colonialisme. C'est que la politique au Liban est désespérante en effet... et que l'issue n'a pas encore été trouvée. Nous récupérons leurs numéros et remontons dans notre appartement. Toute la nuit, j'aurai l'impression que la terre bouge encore.

Mardi 21 février, tous les établissements scolaires du pays sont fermés. Pour cause, le ministère de l'intérieur requiert la vérification de leur état suite au séisme. Après quatre jours de week-end, voilà que nous en grattons deux de plus. Retour prévu jeudi à l'AUST...

Ce mardi, il fait beau dehors. Et j'en ai marre de rester enfermée. Je veux bouger, voir du pays, faire quelque chose pour peu que je sorte d'ici ! Je propose alors aux filles d'aller au Musée National de Beyrouth, un peu plus au sud. Il est 11h et nous sortons de chez nous. Grâce aux cartes étudiantes que nous avons désormais en notre possession, nous obtenons un tarif réduit à 20 000 livres = 25 centimes. Puis nous prenons le temps d'explorer ces trésors du temps.
Ouvert en 1942, il s'agit du principal musée archéologique du Liban. Selon wikipedia : "L'inventaire comprend plus de 100 000 objets, dont la plus grande partie provient des fouilles entreprises par la Direction des antiquités. Environ 1 300 objets sont exposés de façon chronologique, depuis la Préhistoire jusqu'à la période mamelouke. Durant la guerre de 1975-1990, le secteur qui entoure l'édifice, également appelé «le Musée», était le lieu d'intenses combats entre factions armées. Le quartier du Musée est un lieu de mémoire important au Liban." Une mosaïque exposée à l'intérieur du musée, mais qui était auparavant sur une des façades extérieures, est notamment profondément marquée par un impact de tirs de la guerre civile.
Nous sommes ravies de découvrir des objets datant de l'époque phénicienne dont nous parle notre professeur de History of Lebanon (-1200 à -300) : des statuettes, des bijoux, des pièces de tissus pourpres... Jeudi, durant notre cours, il évoquera notamment le musée et son sous-sol. Si nous connaissons désormais le musée, nous nous rendons compte que nous avons omis de visiter son sous-sol !












Nous décidons à notre sortie de l'exposition de nous diriger vers la sécurité générale du Liban qui se trouve dans le même quartier. Objectif : obtenir un permis de résidence. L'AUST nous a fourni une lettre de preuve que nous sommes étudiantes. Ils nous ont dit "maintenant vous allez à la sécurité générale pour obtenir votre permis". Or, personne ne semble au courant d'une telle procédure dans le bâtiment dans lequel nous nous rendons. Nous passons un sas de sécurité, d'abord. Puis demandons à un des militaires de nous orienter. Il nous guide à un poste de contrôle. Nous devons y laisser nos téléphones en échange d'un petit bout de papier avec un numéro. Tous les téléphones sont posés sur une fenêtre. Un sonne désespérément. Nous attendons ensuite bien sagement notre tour. Le militaire à son bureau nous demande ce que nous voulons. Nous tentons de lui expliquer que nous souhaitons un permis de résidence. Sans aucun geste de sympathie, il finit par nous remplir un papier et nous indiquer (très rapidement) un bureau. 4ème étage, nous entendons. Alors nous prenons le chemin à droite, puis à gauche, il y a un bâtiment. Nous montons les 4 étages bien anciens. Il n'y a personne. Une femme finit par nous apercevoir. Très gentillement, et ça fait du bien pour une fois!, elle nous montre par la fenêtre un autre bâtiment en face. Alors, nous serions dans le mauvais. Comment aurions-nous pu le savoir? Nous redescendons les 4 étages et remontons ceux de l'autre bâtiment. Là, on essaye de nous orienter vers un bureau en particulier. Les militaires nous disent "ce n'est pas ici pour le permis". On insiste, ils nous font attendre cinq minutes. Puis alors que l'on entre enfin dans le bureau, une militaire nous assure "ce n'est pas ici les permis". Elle nous indique un autre bâtiment, plus loin dans la ville, au sein duquel nous pourrions faire notre demande. Bon.

Un peu dépitées, nous allons bredouilles à un petit restau de chawarmas. J'opte également pour un jus de fruit orange-fraise et qu'est-ce qu'il est bon! Puis nous nous dirigeons vers ce qui nous semble être un parc, le parc des Pins où tous les libanais ont accouru lors du tremblement. Et comme cela fait du bien de voir de la nature ! La pollution me pèse dans la ville. Je n'en ai pas l'habitude. Les voitures, le bruit, je supporte très peu. Alors cet espace d'un peu de nature, avec ce soleil doux, oui ça me fait du bien. Nous restons là deux heures environ. À dormir sur l'herbe, au soleil. Nous entendons les appels à la prière des mosquées aux alentours. Nous entendons ensuite de la musique, d'une manifestation ou d'un match de foot. Et puis nous rentrons à la maison, un peu avant le coucher du soleil.







Mercredi 22 février 2023, nous n'avons toujours pas cours. Aujourd'hui, nous allons skier à Faraya ! Nous attendons cela depuis notre arrivée. J'y avais pensé avant de venir, mais sans réellement y croire. Or il est 8h et nous attendons avec hâte notre chauffeur. 8h50, il n'est toujours pas là et ça nous ennerve un peu. Nous ne voulons pas commencer à skier à 15h! Il finit par arriver vers 9h, et nous voilà parties pour une heure de route avant la station. Georges, le chauffeur, nous parle un peu de Beyrouth, des villes traversées. Au village de Faraya, il nous guide jusqu'à un magasin de location d'équipements de ski. Pour 38€, je bénéficie d'une tenue complète pour la journée. Nous retournons dans le beau taxi. Georges nous aide à faire entrer les skis par la fenêtre. Puis il nous conduit jusqu'en bas des pistes, passant un contrôle militaire (peut être y a t-il une personnalité politique non loin). Cette fois-ci nous payons un forfait de 30€ pour la journée. Et c'est parti! Les remontées s'arrêtent à 15h15. Alors pendant quatre heures, nous profitons un maximum de cette belle neige. Les télésièges sont extrêmement lents et brutaux. Mais que la vue est belle ! Nous apercevons la mer au loin. Les nuages de pollutions, également. Les montagnes sont si différentes des Alpes ! En France, nous nous sentons bien petits face à mère nature qui s'impose bien au dessus de nos têtes. Ici, nous avons l'impression de nous trouver sur des dunes de sables fragiles, basses en altitude. C'est plus apaisant, moins impressionnant. Les roches sont oranges. Je n'ai pas pu tirer de photos représentatives du lieu mais j'en ai pris plein les yeux. En fin de journée (enfin, vers 15h) nous descendons notre dernière piste. Le soleil couchant est splendide sur cette neige. La descente est si belle. Il y a très peu de monde sur les pistes. Et puis, nous nous posons en bas des remontées et c'est le retour à la réalité. Beaucoup de monde, dont la plupart parle français (signe d'aisance économique). Nous profitons du soleil. Georges vient à notre rencontre. Il est l'heure de rentrer.
Nous redescendons à Faraya. Au magasin, nous rendons nos affaires. Quatre jeunes d'une dizaine d'années nous aident. Ils retirent nos chaussures, prennent nos gants, nos bâtons, m'aident même à enlever mon pantalon de ski ! En partant, nous apprendrons qu'ils ne sont pas les fils du vendeur mais ses employés. Quatre syriens, d'une dizaine d'années, à travailler tous les jours dans ce petit magasin. Abandonnant ainsi l'opportunité d'étudier.
















Sur le retour, Georges s'arrête à un petit village. "C'est de là que viennent toutes les pommes du Liban !". Il demande à un homme s'il peut nous acheter une pomme chacune. Le vendeur nous en tend. Il s'embrouille avec Georges car il ne veut pas accepter d'argent. Nous repartons, dégustant ces pommes dont nous connaissons désormais l'origine. Juste avant d'arriver chez nous, le chauffeur commence à nous faire de grands discours sur l'argent. Il nous dit "il y a des gens gentils qui me donnent beaucoup, eux je les aime bien. D'autres n'en ont rien à faire, ils ne me donnent pas beaucoup". Nous, nous avions conclu 20€ pour la voiture, 20€ pour le chauffeur. Mais à l'arrivée il nous dit : il manque 20€ pour l'essence ! Alors nous lui donnons 20€ pour l'essence... la journée est chère mais l'expérience était splendide. Nous savons que nous n'y retournerons pas, alors autant profiter aujourd'hui.
Le soir, nous mangeons tranquillement à la maison toutes les trois. Nous sommes épuisées de la journée. Avec Victoire, nous partons dans un fou rire interminable en constatant les traces de coups de soleil sur le front de Philippine. Pour une fois, j'y ai personnellement échappé.

Jeudi 23 février, c'est le retour en cours ! Nous sommes assez contentes de remettre les pieds à l'AUST. En US foreign policy, le professeur nous répète à nouveau qu'il ne sent pas bien ce semestre. Qu'il ne pense pas que nous le terminerons. L'étudiante libanaise à ma droite confirme. Nous faisons un point sur les États-Unis et leur vision du monde. Sur la guerre en Ukraine et Biden, aussi. Puis j'enchaîne avec mon cours de psychologie. Encore une fois, c'est très intéressant. Les professeurs nous ont envoyé des manuels en ligne. Ce qui est pratique, c'est qu'il suffit de les lire pour suivre le cours. Ce qui est moins bien, c'est que les professeurs (surtout en psycho) donnent seulement l'impression de répéter le manuel, sans proposer leur propre cours... En sortant, je me présente à Mohammed Ali, un ami de William (étudiant d'ESPOL en échange le semestre dernier). Très gentiment, il me dit de ne pas hésiter à le contacter si j'ai besoin de quoi que ce soit. Puis je rejoins les filles qui m'ont déjà commandé un man'ouché. Le fameux man'ouché de l'AUST. Il est particulièrement gras et rempli de fromage. Mais c'est tout ce qu'on aime ! Hélas il a un peu refroidi entre temps... Comme nous n'avons pas Human rights aujourd'hui, nous avons 3 heures de pause avant le prochain cours. Alors nous décidons de rentrer à la maison. Je m'endors rapidement. Le ski nous a claqué hier !! Dernier cours de la journée : History of Lebanon. Le professeur est super, très bienveillant et à l'écoute. Nous terminons le chapitre sur les phéniciens. Comme il a déjà mis son cours en ligne, j'arrive à suivre facilement. J'apprécie particulièrement cette matière.
15h30, nous allons faire les courses. 32,50€ pour de bonnes réserves. Nous espérons tenir quelques jours avec. Retour à la maison, nous nous reposons tranquillement dans nos chambres. Nous voilà de nouveau en week-end... Ce soir, nous attendons un employé de l'entreprise nous louant l'appartement. Il est censé récupérer notre caution pour que nous y restions plus longtemps. Or, on ne le verra pas de la soirée. Heureusement que nous n'avions rien de prévu.

Vendredi 24 février, nous pouvons enfin profiter d'une grasse matinée. 11h30, nous sortons tout de même pour nous rendre au fameux bâtiment de la sécurité générale, censé nous fournir des permis de résidence. Là, la sécurité semble déjà moins stricte que la dernière fois. Les panneaux sont traduits en anglais. Cela ne veut pas dire que les bâtiments sont mieux entretenus, mais il y a déjà une amélioration. Au premier étage, on nous dit d'attendre un peu plus loin. Bon, nous attendons. Puis, nous revenons à la charge et on s'intéresse finalement à notre cas. Le militaire nous dit qu'il lui faut une copie de notre passeport, notre visa, et deux photos d'identité. Alors nous descendons à la cafétéria faire une photocopie, mais il n'y a plus d'ancre de couleur ! Alors nous sortons du centre, traversons la route, entrons dans le mall, et faisons des photocopies. Puis nous retournons à la cafétéria, procédons à la prise de photos d'identité. Nous retournons enfin voir le militaire au premier étage. Il nous dit d'attendre. Alors, nous attendons. Une militaire prend enfin notre cas en considération, puis elle nous dit : ça ne marche pas, il vous faut d'autres documents. Moi, je trouve la situation plutôt comique. Les filles elles, sont énervées. Tranquille, ça va aller. Bref, la dame nous dit qu'il nous faut un tampon du ministère de l'éducation et une lettre d'un notaire attestant que nous ne sommes pas au Liban pour travailler. Rien que ça. Nous repartons, pour la deuxième fois bredouilles. L'AUST n'a pas bien fait les choses en nous informant si peu sur la procédure. Tant pis. Je le prends avec le sourire. Et nous verrons cela la semaine prochaine avec l'université.
De l'autre côté de la rue il y a le musée de Beyrouth. Un musée retraçant l'avant-guerre de la ville, la vision qu'en a gardé les habitants, et l'après-guerre puis l'après-explosion. De l'extérieur, je n'imaginais pas le lieu ainsi. Mais l'exposition est très complète, immersive, parlante. Il y a de multiples salles représentatives d'un autre temps, dans lequel le bâtiment en question était une discothèque réputée de Beyrouth, où les gens dansaient et se retrouvaient pour rire heureux. Les ruines ont pris le pas. Puis le musée. Nous entendons les sons, les voix, les chants, les cris d'avant, puis du présent. Je les enregistre avec mon dictaphone.
L'entrée étant gratuite, je reviendrai volontiers visiter le lieu. Il y a tant de choses qui m'ont échappée.









Nous mangeons un chicken chawarma au bord de la rue, je change de l'argent, puis nous rentrons à la maison. Il est 16h14, et je termine d'écrire sur ces quelques derniers jours.

Je me plais bien ici. Mais je ne suis pas totalement épanouie. Il manque cet aspect social de l'échange. Certes, cela ne fait que deux semaines que nous sommes là. Mais j'ai besoin de rencontrer du monde, de parler à d'autres gens. Nous venons de nous inscrire auprès d'une association de reconstruction du pays : Offre Joie. J'espère faire de belles rencontres durant mon engagement.
La nature me manque.
J'ai du mal à rester à la maison en journée. Nous sommes souvent dans nos chambres en effet, et c'est tout à fait normal car chaque chose en son temps. Nous ne devons pas nous empresser de visiter tout le pays tout de suite. Mais je ne suis pas habituer à ce temps libre que l'on a. J'aime quand ça bouge. J'aime quand je bouge. Quand je me sens stimulée par telle ou telle activité. C'est très frustrant de ne pas pouvoir gambader par ci par là librement. Certes, nous sommes sorties quatre heures aujourd'hui. Mais ça ne me semble pas assez ! L'attente est belle aussi dans un sens. Et puis j'imagine que ce rythme changera bientôt. Surtout quand nous serons dans l'association. Et que je me sentirai plus à l'aise de sortir seule dans la rue. Mais pour l'instant, c'est vrai que ça me fait bizarre. De voir le tout, au ralenti.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

East Africa 🌍 KENYA 🇰🇪 - 6 - Nairobi de nuit.

East Africa 🌍 TANZANIE 🇹🇿 - 10 - Introduction à l'informatique.