LIBAN 2023

LIBAN - Février à Juin 2023



LIBAN. 1 - Beyrouth, enfin ?!

 Je suis enfin dans l'avion. Mais j'ai encore du mal à souffler. Je pense commencer une séance de meditation prochainement.


Je fais la maligne à chanter à tout va que je rejoins Beyrouth pour quelques mois. Beyrouth, le mythe du désordre, de la crise. Et moi, jeune étudiante accompagnée de ma seule valise (à l'intérieur de laquelle le livre de mon père : La guerre du Liban), partons à l'aventure de ce beau pays du Cèdre. Je pense mer, je pense randonnées, je pense montagnes, je pense rencontres, je pense soleil. Mais quand tout devient tout à coup plus tangible, je pense peur, je pense appréhension.

L'Inconnu, ce bonhomme qui me rappelle à l'ordre parfois. Comme j'aime l'exploration et comme cela m'anime quotidiennement! Mais cette semaine, mon cœur se sert, ma tête n'est plus au clair, mes poumons s'emballent. Ça va aller. 

Je sais bien que ça va aller. Mais là, c'est pas cool.


Mercredi 8 février au matin, je pars de ma maison du sud est de la France pour rejoindre l'aéroport de Marseille. Me voilà partie pour un semestre au Liban, en échange dans une université partenaire à la mienne : l'American University of Sciences and Technology (AUST). Là-bas, je suivrai une licence d'Affaires Internationales, équivalente à celle que je suis à Lille. Cinq mois à Beyrouth donc, et une grande hâte de poser enfin les pieds sur cette région du monde qui m'a depuis longtemps tapée dans l'œil : le Moyen-orient. 

Le pays est en crise, hyperinflation, devaluation de la livre, politique en suspens. Les grèves générales se multiplient, la population survie. La tension monte dans les rues mais le pays tient bon. Manifestations d'octobre 2019, crise sanitaire, explosion du port de Beyrouth, plus récemment un écho de séisme. Des bâtiments qui tiennent à peine debout. Et malgré tout, de la bienveillance au sein du peuple et une richesse naturelle et culturelle à revaloriser.


J'ai lu beaucoup d'écrits portant sur ce pays. J'ai écouté les gens m'en parler avec le sourire, ou de la nostalgie. Je me suis renseignée autant que possible, j'ai rédigé un rapport de trente pages à remettre aux parents pour leur assurer ma prise en compte des risques et des opportunités. 

Mais finalement, je ne connais rien du Liban. 


J'aimerais prendre le temps d'écrire à nouveau. Sur ce périple. Parce que l'écriture me fait du bien autant qu'elle permet à mes proches de vivre l'aventure par procuration. J'ai aussi l'intention ferme de profiter au maximum de mon voyage. M'immerger bien profondément dans l'ambiance. Et j'aimerais éviter qu'écrire ne me prenne trop la tête. Alors je vais tenter comme je peux d'allier les deux. Et puis, nous verrons bien.


Tout ce qu'il faut savoir pour le moment, c'est que je n'ai jamais pris l'avion ce mercredi 8 février au matin. Et que je n'ai pas dormi à Beyrouth le soir même. Vol annulé, moi dégoûtée. Jeudi, deuxième vol annulé, moi encore plus dégoûtée. Nous sommes le samedi 11 février, il est 10h43, et je suis enfin dans l'avion. Mon porte monnaie vidé. Trois jours de perdus, de stress supplémentaire, de pleurs aussi. Je vous le dis, cette semaine, j'ai du mal à m'y retrouver. Je suis de nature si tranquille, dans l'interiorisation, la relativisation, le contrôle, le calme. Et là c'est comme si mon cerveau avait disjoncté. Ce matin en arrivant à l'aéroport, l'hôtesse au poste d'enregistrement ne voulait pas me laisser passer. Je n'avais pas de visa. Non, je n'ai pas de visa car l'école m'accueillant à Beyrouth est censée avoir tout prévu pour moi. Après quelques minutes de négociations, pendant lesquelles j'ai bien pensé que le sort s'acharnait à nouveau et pour toujours, elle m'a laissée passer. Elle m'a dit "on vous laisse embarquer mais comme on le notifie aux autorités libanaises il est possible qu'ils vous arrêtent à l'arrivée". J'ai récupéré mon passeport et mes billets. J'ai dit au revoir à mes parents. Mon premier avion décolle en ce moment même. Là. Tout de suite. Imaginez le rouler encore sur la piste, et bientôt, prendre son envol. Au dessus de Marseille. Et jusqu'à Francfort. Car Beyrouth attendra encore un peu.


Ce soir, j'espère m'endormir au Liban. Si je ne me fais pas arrêter (rires). Et si j'atteins mon logement. Il y a trente minutes mon cœur battait si vite que j'avais du mal à respirer. Maintenant, je me sens un peu plus apaisée. J'ai l'arrogance d'une warrior quand je suis face aux autres. Mais à cet instant je me fais bien petite. Et puis je me rappelle que "J'adore les galères", comme écrit l'année dernière. Alors je lache-prise et tente d'attirer à nouveau à moi les bonnes ondes et la sérénité. Il y a eu beaucoup de galères cette semaine en effet. Mais la casse est avant tout économique, aucun incident grave n'est à déplorer. Alors je me dis que tout va bien aller. Je retrouve le sourire. Je me sens prête. Je me mets de la musique dans les oreilles en plongeant mon regard dans le ciel et les chaînes de montagnes qui s'y dessinent.

Je me sens bien. Je suis heureuse. Et je laisse des larmes de joie rouler sur mes joues.





LIBAN. 2 - Beyrouth et ses oiseaux.

 Ce matin, je me réveille à Beyrouth avec le bruit des oiseaux. Un courant d'air traverse la chambre, j'ai attrapé froid durant la nuit mais qu'est-ce que je suis heureuse de m'éveiller ici !




Samedi 11 janvier, mon vol Marseille-Francfort se passe à merveille. Personne n'est assis à côté de moi, j'ai même droit à du chocolat Lufthansa. À l'arrivée j'ai trouvé la situation plutôt comique. Nous avions 30 minutes de retard et tout le monde a paniqué pour son changement de vol. L'avion se pose, et vlan, tout le monde debout à se pousser pour récupérer ses bagages. Évidemment, il n'est pas possible de sortir immédiatement de l'avion. Alors les passagers se tiennent debout avec leur valise prête à la main, eux près à courir, mais tous en stand-by. La parole se délie, les uns demandent aux autres à quelle heure est leur prochain vol, et déjà certains comprennent bien qu'il leur manquerait du temps. Décolage dans 15 minutes pour quelques uns. Dans 20 ou 30 pour d'autres. Ils se rendent à Amman, Bangkok, Istanbul, etc.

L'avion ouvre ses portes et tout le monde déboule en même temps. Je ne peux cacher un rictus. Non pas de moquerie, mais de joie à l'idée que pour une fois, la galère n'est pas pour moi. Mon vol pour Beyrouth est en effet prévu pour dans 2h30. Alors je laisse passer ces passagers en détresse qui me rappelle tant celle dans laquelle j'ai été plusieurs fois. Et je les vois s'engouffrer avec désespoir dans la navette prévue là. Rebelote, la course est coupée, les voilà à attendre que le chauffeur démarre. Sur le trajet vers l'aéroport, un avion Lufthansa passe devant nous en roulant vers la piste de départ. Beaucoup rigolent en se disant "ah bah voilà mon vol qui s'éloigne devant moi". Un groupe de jeunes marseillais se rendant à Istanbul débattent sur les conséquences s'ils loupaient leur vol. Première expérience pour eux. J'ai bien ri de la situation en me trouvant à leur expliquer toutes les manières de rebondir : trouver un nouveau vol, demander un remboursement et surtout ne pas oublier de faire une demande d'indemnisation (eux pouvaient légalement récupérer 200€ chacun selon ce que j'avais tête). Bref, pour une fois que j'étais sereine quant à mon prochain vol et que mes connaissances pouvaient servir!


Sereine, vraiment ? Rappelons-nous tout de même qu'une menace d'être arrêtée par les autorités libanaises par manque de visa me tourne autour. À Francfort, je m'offre un bretzel. Passage en Allemagne oblige. Il est incroyablement bon. Puis je me dirige vers ma porte d'embarquement. 15 minutes de marche pour traverser une partie de l'aéroport avant d'arriver... à une douane. Zut. Pas encore, s'il vous plaît ! Quel soulagement en voyant mon passeport m'être retourné sans négociation. Alors tout est bon, je continue ma route et m'installe pour déguster mon bretzel. Toujours aussi délicieux.



Mon deuxième vol se passe tout aussi bien. On me sert à boire, à manger. Pas de chocolat cette fois hélas. Je suis assise du côté de la fenêtre et les deux places à côté de moi sont innocupées. Sympa. Le coucher du soleil est splendide. Je rigole toute seule en réécoutant certains audios enregistrés sur mon dictaphone qui fait lui aussi partie du voyage. Le gars assis de l'autre côté de la rangée me regarde avec incompréhension. Puis je m'endors.



À mon réveil, j'ai un petit accès de panique. Quelqu'un est censé m'accueillir à l'aéroport pour me conduire jusqu'à chez moi. Je lui ai communiqué l'heure d'arrivée de mon vol : 19h40. Or, lorsque je regarde mon téléphone il est déjà 20h10. Comme je sais que nous sommes de nouveau partis avec 30 minutes de retard, nous aurions été censés atterir à l'instant. Mais sur l'application MAPS.ME, mon petit point est seulement au dessus de la mer Égée. J'essaye de faire tous les calculs, avec les décalages horaires et je ne trouve aucune explication. 10 minutes plus tard, j'observe la distance que nous avons parcouru durant ce laps de temps et le multiplie pour calculer celui restant. Alors nous arriverons avec 1h30 de retard? Je suis super embêtée pour la personne qui m'attend. Et puis, à force de réfléchir, j'en viens à la réflexion (vraie) suivante : non, nous arriverons bel et bien à Beyrouth à 20h10 avec 30 minutes de retard. Histoire, en effet, de décalage horaire.

Tentative d'explication tordue : s'il est actuellement 20h20 dans l'avion se trouvant au dessus de la mer Égée. 

- alors il est 18h20 en France (2h de moins que la Turquie)

- et il est 19h20 au Liban (1h de moins que la Turquie)

Donc, bien que la Turquie soit géographiquement plus proche de la France que le Liban ne l'est, le décalage horaire joue dans ce cas là sur d'autres facteurs. Géographiquement (France-Turquie-Liban), temporellement (France - Liban - Turquie). Bref, si nous avons pris deux heures en passant par la Turquie nous allons en reperdre une à l'arrivée. C'est un va et vient entre les horaires et si ça peut paraître évident pour certains ça ne l'est pas du tout pour moi et j'ai passé près d'une heure à m'en convaincre ahaha. 


Ainsi, nous atterrissons à 20h10, avec 30 minutes de retard. Je suis émerveillée par l'arrivée. La ville est si belle de nuit. Puis, c'est l'heure de la douane. Et là, pas besoin d'explication à rallonge car le fait est très simple : les autorités libanaises n'en ont rien à faire de ma non-demande de visa étudiant et me tamponnent sans trop de question un visa d'un mois. Pas de quoi se mettre autant de pression. Je récupère ma valise et retrouve un employé de mon université, qui m'envoit tout de suite de bonnes ondes. Il me parle un peu de la ville, me fait faire un tour de l'université en voiture et puis me conduit jusqu'à destination. Je retrouve enfin Victoire qui m'attend à la porte, et puis bientôt Philippine. Deux espoliennes avec qui je vivrai ce semestre. Ce soir, c'est repas pâtes. Et je me trouve bien bête à les cuire pour la première fois au gaz. Ouvrir la bouteille, utiliser le briquet, penser à refermer la bouteille ensuite. C'est Victoire qui me fait la démo, elle qui l'a appris deux jours plus tôt. Autant assumer 😅 et au moins maintenant, on sait faire. Soirée tranquille à l'appartement, les filles me racontent leurs premières péripéties. J'ai bien hâte de vivre les suivantes.



Ce matin, je me réveille à Beyrouth avec le bruit des oiseaux. J'avoue ne pas avoir super bien dormi à cause du froid et du courant d'air s'immiscant dans ma chambre. Ma fenêtre ne ferme pas en effet. Les propriétaires n'ont trouvé aucune autre manière de brancher le WiFi que de faire passer les câbles par cette fenêtre. Qui donc, ne ferme pas. 



Mais tant qu'il y a le bruit des oiseaux, je suis prête pour la journée :))




LIBAN. 3 -   !مرحبا بكم في بيوث

     !مرحبا بكم في بيوث >> Bienvenue à Beyrouth !

 

 Lundi 13 février, 10h31, je suis allongée sur le canapé du salon. J'entends les voitures qui passent en bas. Je sens la chaleur du soleil qui traverse les fenêtres. Je ne me rends toujours pas vraiment compte d'être enfin dans le pays du Cèdre. J'ai envie de sortir et de prendre un bus. D'aller l'explorer ce beau pays. Mais la rentrée universitaire se rapproche... alors nous restons bien sagement à la maison en attendant midi et notre entrée à l'AUST.




Dimanche 12 février, je passe ma première journée à Beyrouth. Je me lève enrhumée, fatiguée, frigorifiée. Victoire aussi ne va pas bien. On prend notre petit déjeuner, café, tartines et pommes (les filles ont fait les courses la veille) et alors que Victoire se repose, je pars avec Philippine découvrir la ville. On m'avait promis du soleil mais ce sont plutôt les nuages qui sont au rendez-vous aujourd'hui. Tant pis, je suis bien décidée à profiter de la journée tout de même. Philippine me guide jusqu'à une intersection où nous sommes censées trouver un bureau de change et une boutique de forfaits téléphoniques. Ça me fait bien rire de la voir tenter désespérément de s'y retrouver. On finit par trouver le bureau de change, je donne 100€ pour récupérer 6 600 000 livres libanaises (dites vous qu'il y a un an je n'aurais récupéré que 2 000 000 de livres, et il y a trois ans 200 000 livres). La liasse de billets est énorme, j'ai du mal à la faire entrer dans ma banane. Je vais devoir trouver un porte-monnaie adapté.

Comme nous ne trouvons pas la boutique de forfaits nous commençons à marcher dans une direction. Pendant cinq heures nous marchons ainsi dans les rues, passant d'un quartier à l'autre, galopant d'étonnement en étonnement. Je n'avais qu'une envie, c'était de voir la mer. Alors nos pas nous y ont conduit. Comme il est difficile de tout retranscrire, je vais seulement developper certains aspects m'ayant le plus marquée en cette première journée.







Ma première surprise est le dénivelé dans la ville. Les multiples rues à grimper, puis à redescendre. Les escaliers à crapahuter ou à dévaler. En visualisant Beyrouth, je ne m'étais pas spécialement posée la question. J'imaginais la ville relativement plate. Comme on peut le penser d'un littoral. Et pourtant, notre quartier Ashrafieh, plus particulièrement, est tout à fait vallonné.

Très rapidement, je constate également le contraste évident entre les quartiers riches et pauvres. Ce qui est frappant, c'est que nous pouvons être dans une zone extrêmement sale, à l'abandon, en friche tout en apercevant du linge sécher aux fenêtres (si tant est qu'il y ait encore des fenêtres). Et puis l'instant suivant nous debarquons dans un espace luxueux avec des bâtiments étincelants, des voitures dernier cri, des magasins Dior. Parfois aussi, le lieu est détruit, mais s'élève en son centre un immeuble flambant neuf. Bref, le contraste est déstabilisant. De jeunes enfants viennent nous demander de l'argent. Un père, une mère et une jeune fille ont comme sortie familiale du dimanche la mendicité. Un jeune libanais nous parle par ailleurs de Mbappé. Et tous ont l'air surpris de la couleur de mes cheveux. Cela se voit sur nous que nous sommes aisées. Des roses, des ballons, des mouchoirs, de l'eau, on tente de nous vendre un tas de choses. Les mouchoirs, pour ainsi dire, auraient pu me servir. C'est qu'il commence à faire froid dehors, et nous n'avons qu'un pull. Je tremble un peu. Je tousse. Mais nous continuons de parcourir la ville avec entrain.









Au loin, nous apercevons la fameuse mosquée Mohammed Al Amin de Beyrouth. Et derrière elle, la mer. Je suis étonnée de voir autant de structures religieuses. Comme si le peu d'argent que le pays possède était redistribué dans l'entretien des religions. À gauche de la mosquée, une église. Là, une synagogue. Là-bas encore une autre mosquée, puis une autre église, et une autre synagogue. Vu comme cela, tout le monde a l'air de bien cohabiter. Et puis comme la mer est belle ! Il y a des pêcheurs. Des gens se prennent en photo. Beaucoup de vélos longent la côte. Je distingue un voilier au loin. Et puis plus à droite, il y a le port. Mais nous aurons bien le temps de s'en rapprocher plus dans les semaines à venir... Il est 15h et nous commençons à avoir très faim. Alors nous traversons la route au milieu des voitures (peu de passages piétons et de feux qui fonctionnent) et reprenons le chemin vers le centre.













Pendant près d'une heure nous tentons de retrouver Victoire qui nous rejoint pour manger. Personnellement, je rêve d'un man'ouché (pain typique libanais). Les rues semblent vides. Des quartiers entiers sont inertes. Peut-être cela est-ce dû au fait que nous soyons dimanche ? Quoi qu'il en soit, c'est tout à fait déconcertant. L'ambiance est calme, paisible généralement. Nous nous sentons en sécurité. Et puis il arrive que nous fassions face à un bâtiment criblé de balles. Ou dont les fenêtres sont détruites (par l'explosion du 4 août ?), et alors nous reprenons conscience de l'histoire misérable imbibée dans ces terres. Il y a des panneaux "église", "école", "musée". Mais il y a aussi les panneaux "rue à caractère traditionnel". Alors que je le remarque pour la première fois, j'observe autour de moi ce qu'il peut bien y avoir de "traditionnel". Je suis bien étonnée de ne remarquer qu'un ancien bâtiment détruit. Il y a aussi ces multitudes de zones militaires à travers lesquels nous ne pouvons passer, et ces rues, voir ces quartiers entiers barricadés par des hommes en uniforme. Ainsi, nous sommes contraintes de faire d'immenses détours avant de retrouver Victoire. Et nous sommes dans l'incompréhension. L'ambiance a l'air si calme à Beyrouth, pourquoi tous ces déploiements ? Et les soldats ne parlent pas anglais, nous ne pouvons leur demander.






Il est 16h, après de longues heures à chercher un coin pour manger, Victoire nous conduit dans une sorte de chaîne de kebab non loin de chez nous. Elle avait repéré le lieu la veille. Pour 3,50€ environ, nous nous régalons avec du poulet, des frites, du houmous, des cornichons, du pain libanais, etc. Je prends une grosse cuillère d'une sorte de purée rouge et je sens le feu monter dans ma gorge. "Hot garlic" me dit la dame. Ah bah oui, hot hot je confirme.

Victoire ne se sent toujours pas bien, moi pas beaucoup mieux (= de pire en pire). On rentre ainsi à la maison afin de nous reposer. Hier, nous avions oublié d'éteindre le chauffe-eau. La douche est ainsi déjà prête, je fonce et qu'est-ce que ça fait du bien ! Je suis de plus en plus frigorifiée, mon cou est douloureux, je sens les courbatures qui se multiplient, mes poumons qui se serrent. Bientôt la pneumonie, me dis-je. J'enchaîne les thés. J'enfile des couches supplémentaires de pulls. Je me blottis dans mon sac de couchage puis sous ma couette. Enfin, je tente d'allumer le chauffage bien que la propriétaire nous ait dit qu'il ne fonctionnait pas. Et là, surprise! Le chauffage se met en marche!! Je commence à avoir de l'espoir. Je m'assoupie pour un temps.





Vers 20h, nous émergeons toutes les trois. Nous préparons des courgettes avec Philippine (nous avons également oublié de refermer la bouteille de gaz hier...) ainsi que du riz. Difficile de tenir debout. Je me sers à nouveau du thé. Le repas s'avère délicieux ! Alors que je pense à ma chambre qui doit enfin être chauffée, tout à coup la lumière s'éteint. Panne d'électricité. Les coupures de quelques secondes sont courantes. Mais cette fois-ci, rien ne reprend. Nous nous rendons compte que seul notre appartement est éteint. Alors nous descendons demander de l'aide à la concierge. Elle appuie sur un bouton de l'autre côté de la rue et le tout marche de nouveau. Shukrane. Dans la soirée, la panne recommença. Et plus de concierge à l'entrée. 15 minutes plus tard tout reprend comme normal, mais nous ne savons comment cela est possible. Tant mieux. En attendant, c'est moi qui suis de vaisselle ce soir, à la lumière du téléphone.

La nuit qui s'ensuit est particulièrement mouvementée. Couchée à 23h. Fatiguée, frigorifiée, tremblante même et avec un mal de tête insupportable je mets trois pulls et un foulard et je m'allonge enfin dans mon sac de couchage et ma couette. Ma chambre a pu chauffer ! Après avoir dormi une heure environ, je me réveille en sursaut, fiévreuse, entendant des bruits au loin et imaginant par hallucination que le bâtiment bouge. Un nouveau 4 août !, me dis-je. Ou un séisme ? Et je commence à flipper en attendant l'heure ultime. Plusieurs fois, j'aurai l'impression que le bâtiment bouge et qu'une explosion au loin s'entend. Le chauffage que je viens de rallumer fait un bruit monstre, l'air fait bouger les rideaux. Serais-je en pleine tempête ?! Puis il fait trop chaud dans ma chambre, ou peut-être n'est-ce que le fruit de mon imagination, et je bouge dans tous les sens, tentant désespérément de me délivrer de mon sac de couchage. Je fais un rêve dans lequel la dame osculte mes poumons et mon cœur. Je transpire. Et puis, silence, une panne d'électricité, à nouveau. Mon cerveau aussi se met en pause. Puis, j'entends l'aspirateur du voisin d'en dessous. Je me rendors, espérant me lever en meilleure forme pour la rentrée demain.






LIBAN. 4 - Rentrée à l'AUST.

 Alors que la plupart des étudiants français sont en vacances cette semaine, pour nous cette journée marque notre rentrée universitaire. Cela fait près de deux mois que nous sommes en vacances et autant vous dire que nous ne sommes pas pressées de les achever. Et pourtant, l'AUST nous convie à l'intégrer aujourd'hui.




Mardi 14 février 2023, réveil à 8h. Hier, nous n'avions toujours pas plus d'informations sur l'horaire auquel l'école l'université nous attendait. Si elle nous attendait. Alors nous nous sommes dit, n'y allons pas trop tôt (8h) mais restons sérieuses tout de même ! Ainsi nous avons décidé d'y aller pour 9h. Petit-déjeuner, préparation, et nous partons finalement de chez nous à 9h10.

L'AUST, l'American University of Science and Technology, se situe à seulement 4 minutes de chez nous. Plutôt pratique. Le campus est assez grand, il y a de nombreux blocs différents pour les diverses facultés. Il y a par ailleurs une section française ainsi qu'une section anglaise. Nous sommes dans la section anglaise, licence d'Affaires Internationales. Il s'agit d'une école privée, non sectaire, fondée en 1989.





Nous arrivons à l'accueil, je me souvenais de l'endroit indiqué par mon chauffeur samedi soir. Là, nous précisons que nous sommes "exchange students" et demandons plus d'informations. La dame nous dit que notre référent (Dr. Massé, le doyen des Affaires Internationales) donne actuellement un cours et nous conseille ainsi de rencontrer son assistante Madeleine. Alors nous montons au cinquième étage et attendons qu'elle termine avec l'étudiant déjà présent dans son bureau. Puis un étudiant, sans gêne, passe devant nous. Il s'assoit, tranquille et commence à parler à Madeleine. Puis une deuxième étudiante passe devant nous. Pas cool. Un étudiant d'ESPOL ayant fait son échange à Beyrouth le semestre dernier nous avait précisé qu'il avait eu beaucoup de mal avec les jeunes de l'AUST. Des "jeunes libanais riches jusqu'au cou qui n'en ont rien à foutre d'étudier". Et j'aurais préféré attendre plus longtemps avant d'émettre un jugement, mais il est certain que ces deux personnes qui ne nous ont nullement considérées et le savent très bien (une autre fille libanaise attendait respectueusement derrière nous) ne me permettent pas d'avoir une première belle image d'eux. Un peu plus tard, nous prenons l'ascenseur, et alors que celui-ci est plein, une étudiante forcera pour entrer avec nous, comme s'il était mortel pour elle d'attendre une minute ou de prendre les escaliers. Madeleine lui a demandé de sortir, lui montrant, par évidence, que l'ascenseur était plein. Par ailleurs cela m'a profondément marquée de voir ces voitures luxueuses dans l'allée ou le parking de l'université ! Toutes plus étincelantes ou colorées les unes que les autres.

Nous rencontrons ainsi Madeleine. Et bien qu'elle soit l'assistante du Dr. Massé, elle n'est nullement au courant de notre arrivée. Bon, ça promet. Elle nous recommande ainsi de revenir vers 12h20, après son cours. Nous partons un peu dépitées par ces premières interactions avec l'AUST. Sur le chemin retour, nous passons au supermarché Spinneys pour faire les courses. Prix équivalents à la France, rien de spécial. Fruits et légumes moins chers probablement.

12h20, deuxième tentative. Cette fois-ci nous nous rendons directement au cinquième étage. Dr. Massé est occupé avec quelqu'un mais nous fait signe d'entrer en nous disant avec un grand sourire "Ho, you are the students from Espol!! Come Come sit." Alors on reprend espoir. Avec l'étudiant qui est là, il place dans une même phrase de l'anglais, du français et de l'arabe. C'est impressionnant. Ce sont souvent les mots de politesse qui sont en français "s'il te plaît", "merci", et les nombres. Puis Dr. Massé vient enfin à nous, et là je suis embêtée pour la jeune femme qui attendait derrière nous tranquillement et qui risque d'attendre longtemps encore... surtout lorsqu'au bout de 10 minutes elle ose entrer dans la salle pour se signaler au Dr. et que celui-ci la renvoie d'un revers de la main.

Lui, pour le coup, semble au courant de notre arrivée et cela nous rassure. Il nous présente les cours que nous pouvons choisir et nous sommes contraintes de choisir rapidement. Je suis déçue car plusieurs cours qui m'intéressent sont au même horaire, diminuant significativement le choix final aux cours dont les horaires matchent. De même, c'est étonnant de voir que nous n'aurons cours que le mardi et le jeudi. Profitant ainsi d'un week-end hebdomadaire de quatre jours. Finalement, j'opte pour les choix suivant :
• History of Lebanon (autant s'intéresser à ce pays d'accueil)
• US foreign policy (vraiment par depit, à cause des problèmes d'horaires. Mais, why not ? Bien que j'aurais préféré sélectionner le cours "Peace keeping and conflict resolution")
• Psychology (pour le coup, je suis super contente de ce choix! Cela fait quelques temps que je pensais entreprendre une petite formation en psycho, et l'opportunité ici se présente bien)
• Human rights and policies of development (évidemment !)
Je suis plutôt satisfaite de ces choix. Pour une fois, ce sont des matières un peu plus spécialisées que celles que j'ai l'habitude de suivre à ESPOL.

Il nous faut ensuite descendre au deuxième étage pour faire les inscriptions, valider nos cours, récupérer un numéro étudiant, nous apprendre à utiliser leurs plate-formes numériques, etc. Et par ce périple nous rencontrons de nombreux employés de l'AUST extrêmement chaleureux et fiers de nous accueillir non seulement à l'université mais surtout au Liban. Pierre Aftalah, directeur du service d'inscription se montre particulièrement généreux en temps et en conseils. Il nous invite à s'installer dans son bureau afin que nous lui posions toutes les questions que nous avons en tête. Finalement, nous restons près d'une heure trente à échanger avec lui et tous les autres passant dans son office. Il est emballé par tous les sujets abordés. Il veut nous faire rencontrer untel pour qu'il nous conduise dans la ville ou dans l'ensemble du pays, il nous conseille d'aller ici et là, il saute presque sur sa chaise en nous disant "Hoo! Et je vais vous faire rencontrer quelqu'un si vous venez à Byblos, ma ville!! C'est une grande figure publique!! Ah oui oui oui ce serait génial!!", puis il nous parle d'un chalet qu'une connaissance pourrait nous laisser un week-end. Un long échange entre lui et une collègue se base également sur la nourriture du Liban. En une minute il nous faut prendre note d'une dizaine de restaurants ou de coins pour manger. Il est 15h, ils n'ont toujours pas pris leur repas et nous non plus. Nous demandons également où nous pourrions espérer trouver un bar diffusant le match de la champions' league demain soir. Le Chili's est unanime. Enfin, il est étonné de voir que nous souhaitons apprendre l'arabe ou que nous connaissons un peu la politique de son pays. Sa collègue est super fière lorsque je dis très basiquement "Ismii Louise". La discussion s'éternise, et nous on est très heureuses d'avoir autant de conseils et de savoir que nous pourrons compter sur eux. Pierre Aftalah nous encourage à revenir jeudi pour rencontrer le chargé de la vie étudiante, et vendredi matin pour établir avec lui une liste un peu plus précise des choses à faire durant notre semestre. Il part en effet trois semaines en Allemagne et préfère ainsi nous donner toutes les infos avant.

En sortant vers 16h, nous nous dirigeons directement vers un petit vendeur de sandwich libanais que l'on vient de nous conseiller. Nous regardons la carte et je remarque directement le "Kafta". On m'en avait parlé alors j'en profite pour le goûter. Victoire et Philippine hésitent un peu plus. Un libanais en train de manger s'approche pour nous demander si nous avons besoin de traduction. Il nous tend son sandwich pour que nous goûtions. Incroyablement bon. Il reçoit un deuxième sandwich et nous le tend pour que l'on goûte de nouveau. Un Kafta.
Sur internet je trouve :
"Le kafta est un kebab libanais ou une boulette de viande composé de seulement quatre ingrédients. Il est très populaire avec de légères variations, dans tout le Moyen-Orient. Au Liban, nous le connaissons sous le nom de kafta, mais dans d'autres régions du Moyen-Orient, il est plus connu sous le nom de kofta. Cette version libanaise est composée de boeuf haché, de persil finement haché, d'oignons hachés et d'un mélange d'épices ( 7 épices , sel et poivre.)"
Après avoir goûté son Kafta, je tente de le lui rendre, mais Élias refuse, il est à moi désormais. Shukrane. Merci beaucoup. Il est incroyablement bon. Nous commandons ainsi toutes les trois un kafta avec du pain libanais (130 000 livres = 2 euros). Et nous nous installons un peu plus loin sur un banc au bord de la route pour le déguster. Quelle vue! Ahaha.





J'achète un forfait pour 25€ et 10GO, à recharger dans un mois. Et nous partons dans une direction afin de marcher un peu au nord de Beyrouth. Je découvre une toute autre facette de la ville aujourd'hui. Les quartiers semblent un peu plus homogénéisés qu'hier. Nous découvrons le port de Beyrouth, mais nous sommes encore trop loin pour le voir en détails. Nous passons également dans une petite rue de Mar Mikhael, réputée pour ses magasins, ses bars et son aspect international. La rue est très agréable. Une maison sur deux est en construction. Le quartier a été dans les premiers touchés par l'explosion du 4 août. Nous remontons un long escalier, nous posons sur un banc, puis passons au bout par le restaurant d'Elias. Car notre généreux libanais est restaurateur évidemment. Nous le croisons de nouveau et lui promettons de revenir. C'est vrai que le coin est sympa.













Retour à la maison, temps de repos. Multiples coupures d'électricité. Nous réagissons de moins en moins. Sauf quand rien ne redémarre au bout de dix minutes. Nous savons désormais quel bouton relever sur le générateur de l'autre côté de la rue lorsque la panne s'éternise. Ce soir, c'est patates, jambon, paprika, bananes et kumquat. Un régal. Thé, lecture, dodo. Il nous reste encore deux jours de vacances avant de commencer nos cours jeudi! 






LIBAN. 5 - Hippodrome et Champions League.

 Mardi 14 février, au Liban, c'est jour férié. Non pas qu'ils soient fans de la Saint Valentin de manière démesurée. Il s'agit du 18ème anniversaire du martyre de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri (= commémoration de son assassinat et celui de 21 autres personnes en 2005).

Selon Google : Rafiq Hariri avait fait partie de l'opposition anti-syrienne au Liban. Son assassinat a déclenché la révolution du Cèdre, un mouvement populaire qui a forcé la Syrie à retirer toutes ses troupes du Liban en avril 2005. L'assassinat a également conduit les Nations unies à mettre en place le Tribunal spécial pour le Liban pour enquêter sur le meurtre.



Ainsi, nous avons de nouveau une journée libre pour vaquer à nos occupations de touristes. Réveil tranquille, pour une fois je n'ai pas trop mal dormi même si je suis encore bien enrhumée. Je vois le soleil par la fenêtre et ça me donne terriblement envie de faire un tour du quartier. Alors que Philippine prend son petit déjeuner, je pars à la recherche d'une soit-disant boulangerie qui se trouve derrière notre bloc. La rue est magnifique. C'est différent de se promener seule en pleine conscience qu'en groupe avec des pieds automates. Quelques voisins sont en pleine discussion matinale. Hélas, la boulangerie, que je repère tout de même, est fermée. Alors je rentre en terminant mon tour les mains vides mais loin d'être dépitée. Je passe la matinée à regarder les Airbnb (car le notre n'est pas disponible pour toute la période mais la propriétaire en possède un grand nombre). Je prends plaisir à me renseigner sur les pays de la région également. Prix des billets d'avion, possibilités de volontariats, gîtes, etc. Avec les filles nous sommes particulièrement étonnées de voir une importante différence entre les prix affichés en euro et ceux en livre libanaise. Par exemple, un billet aller-retour pour la Jordanie coûte à la fois 350€ et 4 500 000LL (64€). Cela nous semble trop beau pour être vrai. Faudrait-il seulement que nous payons en LL pour économiser tant?? C'est une question à poser à Pierre Atallah de l'AUST.

Vers 12h, nous sortons de la maison pour une sortie dans le sud d'Ashrafieh, notre quartier. Nous passons devant l'Hôtel Dieu, l'hôpital de l'université Saint Joseph de Beyrouth. Au moins nous savons le localiser. Et nous descendons petite rue par petite rue. Sans nous y attendre, nous tombons sur un discret restaurateur de Man'ouché ! Depuis le temps que j'en rêve. Nous décidons dès lors de nous poser pour le repas. La femme qui est là ne parle pas anglais ni français mais un homme aimable nous aide à se faire comprendre et à comprendre en retour. Il nous conseille, nous explique les ingrédients, nous installe une table et trois chaises (sur le bord de la rue, avec la seule table et les seules trois chaises). Nous voyons le cuisinier à la tâche. Finalement, nous degustons trois mets. Je suis bien embêtée mais Victoire a gardé la note donc je n'ai plus les noms en tête. Je les écrirai lorsque j'aurai récupéré le papier. Quoi qu'il en soit, c'était excellent.






Puis nous continuons sur cette rue, toujours en passant devant multiples militaires et installations barricadées. Là, nous découvrons le Musée National de Beyrouth. Mais comme il ferme à 14h, nous ne nous y aventurons pas. Je repère le Palais de Justice sur ma carte et propose aux filles d'y marcher. À l'arrivée, nous voyons un bâtiment partiellement détruit, totalement à l'abandon ? Cela m'étonne pour un Palais de Justice. Et puis je dis aux filles "Ah non je me suis trompée! Le Palais de Justice est de l'autre côté de la rue!" Nous tournons la tête, pas mieux. Des friches, semblent-ils. Et puis le premier bâtiment observé était en fait le Ministère des affaires sociales. Pas beaucoup plus rassurant. Dans cette rue, les bâtiments sont détruits et pourtant la nature vie. Orangers, palmiers. Au fond, un magnifique bâtiment flambant neuf s'élève.










En continuant de marcher, nous découvrons la fameuse université Saint Joseph de Beyrouth. La structure est bien belle. Il y a de nombreux étudiants assis sur les escaliers au soleil. Alors, nous faisons de même. Les regards se tournent vers nous, les rires fusent. Quoi ? Nous prenons le soleil ! Et puis, je vois un homme avec un appareil photo en bas des marches. Et je me dis "Ho! Ils sont en pleine séance de photos!!!" Hyper gênées mais en rigolant, nous redescendons les escaliers pour nous mettre un peu plus loin. Finalement l'homme ne prend pas spécialement de photos, nous n'avons pas bien compris. Il s'agissait probablement plutôt de photos individuelles. Je ne sais pas.

Après l'ambassade française, barricadée, et l'institut français, dont l'entrée publique est introuvable, nos pas nous mènent à un parc. À chaque fois il faut traverser de grandes voies sans précautions pour les piétons. Mais après tout, "C'est Beyrouth ici". Dans le parc, qui est en fait l'espace vert d'un hippodrome, un entraîneur nous guide jusqu'à la zone de courses. L'ensemble est vide mais si beau. Nous restons là quelques temps. Puis, curieuses comme nous sommes nous continuons d'explorer ce parc et découvrons les écuries du lieu. Les hommes qui sont là s'étonnent de nous voir. Alors nous leur posons des questions et ce sont eux-mêmes qui nous guident vers les chevaux. 42 chevaux désormais. Or ils en avaient 100 avant la crise, et proposaient auparavant des courses internationales. Ce n'est plus pareil désormais. L'homme qui nous parle travaille avec son père et son fils, mais ils sont une dizaine en tout, de multiples familles. Des chèvres courent devant nous. Dimanche à midi, nous reviendrons pour la course hebdomadaire. Avec plaisir.











Sur le retour, nous nous arrêtons à un petit café bien mérité. Bien que le service soit extrêmement lent, et que l'on me fasse finalement payer plus cher ma boisson qu'indiqué sur leur site, mon Smoothie Banane, Gingembre, Mangue est un délice. Incroyable. Puis, back to home et temps de pause avant ce soir.

Car ce soir en effet, nous sommes de sortie. C'est la première fois que nous marchons de nuit dans la ville. Notre fatigue et maladie nous avaient bloquées à la maison. Mais cette fois-ci c'est différent, c'est soirée match à 22h ! La fréquentation dans la rue est bien différente qu'en pleine journée. C'est la sortie des jeunes et des gens aisés. Comme on nous a conseillé le Chili's pour voir le match, nous nous y rendons, sans réel espoir que les libanais suivent la Champions League. La serveuse nous dit qu'il n'y a plus de places, mais finit par nous installer à une table dans le coin de la salle, avec un petit écran. Nous aurions bien préféré être sur l'espace bar central avec le grand écran et l'ambiance! Surtout Philippine et Victoire, grandes passionnées de matchs et du PSG. Ici, les prix sont en dollars. Cela leur permet d'augmenter leur chiffre d'affaire plus l'inflation augmente. Ils doivent bien être les seuls à s'enrichir de la crise. Déçues, nous regardons tout de même avec attention l'affrontement PSG-BAYERN. Enfin surtout les filles, car je remarque que les Francais jouent mieux lorsque je ne regarde pas l'écran. Je suis bien étonnée de découvrir leur science du football. C'est vrai que j'aime beaucoup y jouer, mais dans la famille nous ne sommes pas de grands fans de matchs à la télé. Je rie bien d'entendre le commentateur s'exclamer en arabe et je tente de retrouver quelques mots (Quatre, Hachimi, Mbappé, à Londres, ... des progrès! rires). Puis nous payons en faisons de multiples calculs dans nos têtes pour décider s'il est plus avantageux de payer en dollars par carte ou en livres libanaises par cash.

Ce soir, je suis de nouveau très malade. Je tousse à en avoir vraiment mal aux poumons, j'ai mal à la tête et les frissons s'enchaînent. Même mes vêtements me font mal. Alors je remets le chauffage dans ma chambre, me blottis dans mon sac de couchage et ma couette, et je suis repartie pour une nuit affreuse de fièvre et d'illusions. Ce matin, je ne vais pas mieux. Et ça commence à me peser.



LIBAN. 6 - Man'ouché, tu nous tiens.

 Lundi 20 février 2023, cela fait dix jours que je suis arrivée à Beyrouth. On commence à prendre nos marques avec les filles. On se repère un peu dans la ville. On a une meilleure idée de ce que l'on pourra faire et on commence à planifier. Laissez-moi dès lors revenir sur ces quelques derniers jours...




Mercredi 15 fevrier, au lendemain de mon dernier article, la maladie ayant pris trop d'ampleur et commençant à m'inquiéter, je décide de me reposer tout la journée. J'appelle ma grand-mère, qui s'inquiète évidemment, et me fait promettre d'appeler un médecin pour consulter dans la journée. Alors je contacte Pierre Atallah de l'AUST, il me renvoie au médecin de l'école et celui-ci me prescrit des antibiotiques pour sept jours. Je me repose, je lis, je dors, beaucoup. Je dors presque toute la journée. Le soir, nous avions prévu d'aller au Rocher des Pigeons (Al Raouché). Finalement, nous irons demain. Comme les filles ne sont pas sorties de la journée non plus, elle parte en balade de quartier en fin de journée. Moi, je me rendors. À mon retour, elles débarquent avec trois énormes gauffres au Nutella. Je me sens tout à coup beaucoup mieux. On déguste ce petit bout de bonheur. Difficile à terminer car le cuisinier a vraiment mis la dose de Nutella. Mais qu'est-ce que c'est bon!! La journée se termine tranquillement, nous ne nous couchons pas trop tard.

Jeudi 16 février 2023, c'est notre premier jour de cours. Lever 7h, nous ne nous en rendons pas compte, il fait déjà tellement jour ! Nous trouvons la salle sans peine. 8h, US Foreign Policy. Le professeur est un revendicateur, un protestateur, il nous encourage toutes les dix minutes à réaliser une pétition contre l'AUST sur un sujet précis. Il n'a pas l'air de beaucoup aimé la politique étrangère des États-Unis non plus. Introduction faite, nous terminons le cours 45 minutes en avance. Pour un cours de 1h15, cela fait beaucoup. C'est très étonnant d'ailleurs mais nous n'avons que des cours de 1h15. Donc cinq heures de cours le mardi et le jeudi (quatre matières calées aux mêmes horaires). Pendant la pause, nous nous posons au soleil. 9h30, deuxième cours : Psychology pour moi. Les filles ont "Conflicts studies". Si nous étions vraiment peu dans la première classe, huit ou neuf dont deux suivant le cours en ligne, la classe de psycho est quant à elle remplie. Il y a des étudiants de tous âges et de toutes spécialités (mécanique, ingénierie, sciences sociales, médicales, etc.). La professeure galère un peu avec le projecteur. L'AUST impose de diffuser le cours en ligne et d'enregistrer ce cours pour les étudiants internationaux en distanciel ou les absents. C'est plutôt pratique si nous loupons quelques cours avec les filles. Ce qui est moins cool, c'est la panne d'électricité qui éteint le projecteur et l'enregistrement au milieu du cours. La prof est dégoûtée. Sinon, le cours a l'air passionnant ! J'ai hâte d'en découvrir plus et d'approfondir le manuel. Par contre, je commence à voir que beaucoup de travaux sont demandés et ce n'est pas quelque chose dont nous avons l'habitude à Espol. Chaque matière requiert notamment un "projet", qui est un papier de recherche de 10-15 pages sur un sujet en lien avec l'enseignement. S'ajoutent à cela des dissertations, des quizs, des analyses. Ainsi que trois périodes d'examens... Les étudiants d'espol en échange au semestre dernier n'ont pas beaucoup travaillé et ont eu de supers notes. Mais me connaissant je risque de vouloir tout faire de manière appliquée et impliquée. Nous verrons.
Puis, à la fin du cours vers 10h45, je goûte un man'ouché de l'université. Et oui, en plein milieu du campus se tient un petit cuisto de man'ouché. Et je dois dire qu'il s'agit peut-être du meilleur man'ouché de la ville ahaha. Il me sert un saj (pain plat) énorme, plié en deux, rempli de fromage. En le goûtant, Victoire en fait tomber partout parterre et sur mon pantalon. Mais qu'est-ce que c'est bon!! Il y a tellement de fromage. Je me régale. Wow. Les filles n'ont pas encore très faim (logique, il est encore tôt) et préfèrent attendre d'en prendre à la fin de nos cours à 15h. Mauvais choix, car à 15h, le man'ouché est fermé et elles optent alors pour des sandwichs. On apprend qu'un de nos quatre cours est en ligne... c'est dommage. Alors à 12h45 nous suivons Human Rights depuis la terrasse, au soleil. Dure la vie. La professeure et le cours ont l'air très bien, mais encore une fois je ne comprends pas toutes les modalités d'évaluation. Notamment un oral qu'attend la prof. Il va falloir que je lui redemande. Mais comme ces cours me passionnent ! Puis nous terminons la journée avec History of Lebanon. Et encore une fois, le professeur est top. Il ne veut pas que nous pensions aux notes, il souhaite seulement que nous prenions plaisir à apprendre et que nous échangions en cours. Ça donne un résultat très interactif et qui donne envie de venir au prochain cours. Ainsi, je suis ravie de ma première journée de cours. Ce qui me déçoit seulement c'est que nous sommes les seules exchange students et que rien n'est donc prévu pour nous. À l'AUB ou l'USJ par exemple, les étudiants internationaux sont nombreux et nous les croisons souvent en groupe dans la rue. Pour nous, difficile pour ainsi dire, de rencontrer facilement du monde. Un étudiant de l'AUST nous aborde pourtant et répond très gentiment à nos interrogations après que nous ayons répondu aux siennes. Il finit par nous donner le numéro d'un professeur d'arabe qui pourrait nous donner des leçons de manière hebdomadaire. Shukrane.

Vers 17h, juste avant le coucher du soleil, nous sortons de la maison pour aller voir Al Raouché. Nous ne tardons pas à trouver un taxi. Nous négocions 300 000 lira au début de la course (=4€), puis il fait monter le prix à 400 000 dans la voiture. Nous acceptons, voyant que nous en aurons pour 20 minutes de trajet et que cela peut être un juste prix. Puis à la fin il négocie même pour 600 000. Là, on dit non. Lorsque l'on sort, les lumières sont splendides. La vue est imprenable. Al Raouché est beaucoup plus impressionnant en vrai. Comme ça fait du bien de voir la mer ! Nous descendons sur un petit chemin qui borde l'eau. Nous profitons du moment. Il y a un pêcheur. Il y a des bateaux. Il y a des couples et des amis posés là. Nous avons loupé le coucher du soleil. Mais le spectacle est beau tout de même.






Nous remontons sur l'esplanade, il y a du monde de sortie. C'est un quartier très riche. Les restaurants ont l'air luxueux, pourtant, lorsque nous regardons les prix, ils sont relativement équivalent aux prix moyens en France. Nous reviendrons. Puis, nous décidons de marcher jusqu'à une rue connue pour ses bars dans le quartier de Mar Mikhael. Il fait nuit mais la marche apaise. Nous longeons la côte. Pendant près d'une heure et demi, nous découvrons la ville de nuit. Les taxis n'arrêtent pas de nous klaxonner. Non merci, nous marchons ce soir. Toutes les rues ne sont pas éclairées mais jamais nous ne nous sentons en insécurité. C'est que nous évitons les mauvais quartiers. A l'entrée de la fameuse rue, nous nous arrêtons à un man'ouché. Au thym pour moi (kaftar) et au fromage pour les filles. Le cuisinier est très chaleureux, il nous propose d'y ajouter des crudités. Volontiers. Puis il nous pose tout un tas de questions mais reste bloqué longtemps sur une : pourquoi venons-nous au Liban, ce pays en crise et qui n'a plus rien à offrir. Il est vrai que la crise est omniprésente. Le soir notamment, il n'y a que les gens aisés qui se permettent de sortir. Même la journée les rues ont l'air vidée de leur fréquentation d'antan. Tout le monde en parle, tout le monde sent que ça va mal et que le pire est sûrement à venir. Notre professeur de Foreign Policy ce matin même a commencé en nous disant : "Nous ne sommes pas sûrs de pouvoir terminer le cours, mais au moins, commençons le ensemble." Puis il nous a regardé avec Philippine et Victoire et a ajouté "ne vous inquiétez pas, nous prendrons soin de vous". Qu'est-ce que cela veut dire ? Tout le monde parle de multiplications de manifestations mais nous ne voyons rien dans les rues. Les élections municipales approches mais nous voyons peu d'espoir et peu de mobilisation. Toujours pas de président, pas de gouvernance, quelle issue ? Samedi, alors que nous marchons avec un groupe de libanais, une dame nous dit en anglais "je viens de leur demander de parler en arabe, car ils évoquent la corruption et je ne veux pas que vous entendiez cela sur notre pays". Alors quoi ? Faudrait-il que nous soyons dans le déni ? Certains nous alertent, d'autres ont honte de la situation. Et ce cuisinier qui nous sert nos man'ouchés ce soir là est dans l'incompréhension. Pourquoi nous, ici.




Nous rencontrons un groupe de jeunes, dont une anglaise. Ils nous invitent à boire un verre. Nous répondons que nous verrons plus tard. Le cuisto nous déconseille le bar en question, alors nous nous dirigeons vers un autre. Nous terminons la soirée dans un bar dansant. La sangria est succulente. La musique arabe entraînante. Le DJ s'assure toutes les dix minutes que ses choix sont bons, il craint ne pas proposer suffisamment de chansons européennes. Mais non monsieur, tout nous va très bien. Trois anniversaires s'enchaînent, avec la musique Happy birthday à chaque fois. Un groupe de libanais à notre droite fête les 33 ans d'un des leurs. Ils nous offrent des shots, prennent des photos. C'est fou comme il est facile de se faire payer des verres quand l'on est un groupe de filles. La soirée est super mais nous déclinons l'After proposé par le groupe. Ils ne sont pas insistants mais je n'aime pas cette ambiance, leurs attentes en nous payant des coups. La soirée était sympa, et c'est très bien si nous nous arrêtons là. La note est salée quand à elle. Nous rentrons en marchant, rencontrons Ali qui se prend en selfie sur le coin de la rue. Nous discutons rapidement avec lui et voilà que nous avons un nouvel ami. La marche nous fait du bien, nous rigolons beaucoup avec les filles et nous sommes fières d'avoir fait autant de kilomètres ce soir. Nous sommes de retour vers 2h du matin à la maison.

Vendredi 17 février, lever à 8h. Nous allons en effet retrouver Pierre Atallah à l'AUST afin qu'il nous donne le plus de conseils possibles avant de partir en Allemagne. Nous passons ainsi près de deux heures avec lui et d'autres employés de l'AUST, dont M. Ziad le responsable de la vie étudiante. Nous repartons avec une liste entière de choses à faire au Liban, à manger, à visiter. Ainsi qu'avec des cartes étudiantes, avec lesquelles nous espérons tirer des réductions. 12h45 nous suivons un cours de rattrapage de Human rights. Encore une fois très intéressant et interactif. Puis nous restons tranquilles à la maison ou dans le coin. Ce soir, nous avons du poulet et ça nous rend amplement heureuses. C'est Victoire qui se met aux fourneaux. Poulet, curry, crème, riz, un délice. Nous récupérons un maximum d'énergie pour le lendemain.

Samedi 18 février en effet, nous nous levons à 6h du matin pour une randonnée au nord de Beyrouth, entre Jounieh et Byblos. J'avais en effet trouvé un groupe sur les réseaux sociaux, conseillé par un étudiant d'ESPOL: hike more, worry less. Nous sommes une trentaine au point de rencontre sur la place des martyrs, juste à côté de la grande mosquée. Majoritairement des seniors. La matinée se passe en douceur, à un rythme permettant de regarder en détails le paysage et les ruines romaines que l'on croise. Le guide insiste sur le chemin que nous empruntons et qui date des phéniciens, puis qui a été agrandi par les romains. Je suis étonnée de voir la mer d'un côté, puis la neige de l'autre. Jai l'impression que le coin est sous contrôle du Hezbollah. Mais comme le sujet est sensible, nous n'osons demander. Hélas nous n'étions pas prévenues qu'il fallait emporter à manger. Alors nous attendons le retour à Beyrouth vers 15h pour déguster enfin un man'ouché (deux plutôt, car nous craquons en deuxième lieu pour un man'ouché Nutella banane). Les gens du groupes nous parlent facilement, ils sont pour la plupart libanais, mais expatriés. Ils ont presque l'air encore plus touristes que nous et se prennent en photos partout ahaha. Il fait bien beau, même si je ressens le froid. À deux reprises nous nous posons dans l'herbe au soleil, et le soir, nos joues sont toutes rougies. En fin de journée, nous restons tranquillement à la maison, et planifions les semaines à venir, nos voyages dans la région. Nous avons des rêves plein la tête et espérons en réaliser quelques uns.






















Dimanche 19 février 2023, nous nous levons sans pression vers 10h. Et nous rendons à l'hippodrome de Beyrouth comme prévu. La première course est à 13h05. En arrivant, nous sommes étonnées par le monde. La foule est beaucoup plus dense que je ne l'aurais pensé. Là est la vie de Beyrouth. Ou plutôt, là sont les hommes de Beyrouth. Nous sommes dévisagées par chacun d'entres eux. Peut être autant parce que nous sommes des femmes que parce que nous sommes étrangères. Sans gêne, nous demandons à un policier comment aller sur les gradins ensoleillés du haut. Il nous conduit à des escaliers et nous faisons la route jusqu'à une terrasse en hauteur. Là, les gens parient à tout va. On sent la tension dans l'air. Nous trouvons des chaises bien placées. Et nous attendons le début de la course. Les cheveux et leurs jockey approchent, ils sont impressionnants. La course passe vite mais tout le monde est à fond. Un homme devant nous est fou de joie d'avoir réussi son pari. Il commence à nous parler, tombe amoureux de Victoire et nous entraine pour effectuer notre premier pari. Il est certain que le numéro 2 va gagner à la prochaine course. Alors nous lui faisons confiance. De retour à nos chaises, il continue de parler à Victoire, à lui proposer de nous faire visiter le pays avec ses plus belles voitures, ses chauffeurs. Il propose même à Victoire de l'aide lorsqu'elle sera de retour à Paris car il a de nombreux contacts là-bas. C'est très insistant. Puis la deuxième course démarre et le cheval numéro 2 ne gagne pas. Il est en tête tout au long du circuit mais se fait rattraper à la fin. Dommage, pari perdant. Le gars insiste toujours auprès de Victoire. Il argumente par ailleurs qu'il se présente aux élections municipales de Beyrouth cette année. Ça, nous n'en sommes pas sûres. Quoi qu'il en soit nous finissons par quitter l'hippodrome. Toute la journée, le libanais tentera de contacter Victoire en lui envoyant des photos de voitures de luxe, des suggestions de dîners, etc. Très peu pour nous, merci.





Sur le retour, nous nous arrêtons à un man'ouché du coin. Je le choisis au Lebneh (fromage frais) avec crudités. Il est incroyablement bon. La pâte, épaisse cette fois-ci, est une des meilleures que j'ai goûté jusqu'alors. Surtout, le prix est halluciant et nous avons du mal à y croire. 40 000 lira pour moi, soit 50 centimes. Miam. Nous reviendrons, assurément. Ce soir, nous sortons de nouveau dans la rue des bars. Sans excès, nous passons une soirée à discuter toutes les trois. Et nous rentrons à pieds par des coins qui commencent à nous être familiers.







LIBAN. 7 - Séisme et ski à Faraya.

 Lundi 20 février 2023, 19h07, la terre tremble au Liban. Quelques secondes d'interrogations, de surprises, d'incompréhension, d'adrénaline. Suivi d'une peur diffuse que tout ne recommence, en bien pire. Dans les rues, les gens courent vers leur véhicule, traumatisés par un passé semblant les suivre. Les routes sont bondées, les parcs noirs de monde, les vidéos sur internet s'enchaînent, témoignant de cette détresse généralisée dans le pays. Et nous, nous ne comprenons rien.




En 551, 1202, 1759, 1937, 1956, 2023, de violents séismes ont dévasté le Moyen-Orient. À Beyrouth, la population est également traumatisée par l'explosion du 4 août 2020. Pendant ces quelques secondes de tremblement, beaucoup se disent "ça recommence". La peur est un phénomène mental d'un niveau plus au moins élevé selon les expériences passées, les images associées, les représentations d'un évènement réitéré. Le passé de Beyrouth met la barre haute pour cette peur. Et pourtant, pas de casse dans la ville cette fois-ci, seule une fracture psychologique.
Victoire prend sa douche et ne ressent rien. Avec Philippine, nous sortons de nos chambres, étonnées. Moi je ne réalise pas bien. Cela fait quelques jours déjà que je sens l'immeuble bouger (sûrement à cause de la fièvre). Cette fois-ci c'est différent car je ne suis pas la seule à le sentir. Nous descendons du bâtiment. Il y a du monde dans la rue. Nous utilisons Google traduction pour poser nos questions. Plus tard, nous échangerons avec de jeunes voisins libanais parlant français et anglais. Eux ne sont pas sereins, leur logement est vieux, mal entretenu. Le notre est neuf, bien ancré dans la sol. Très vite, ils nous parlent de Macron, nous demandent notre avis. Eux l'aiment beaucoup. Ils nous disent "si les français revenaient et reprenaient les rênes du pays, tout irait mieux au Liban". Nous sommes étonnées de les entendre dire ça. Comme s'ils cautionnaient le colonialisme. C'est que la politique au Liban est désespérante en effet... et que l'issue n'a pas encore été trouvée. Nous récupérons leurs numéros et remontons dans notre appartement. Toute la nuit, j'aurai l'impression que la terre bouge encore.

Mardi 21 février, tous les établissements scolaires du pays sont fermés. Pour cause, le ministère de l'intérieur requiert la vérification de leur état suite au séisme. Après quatre jours de week-end, voilà que nous en grattons deux de plus. Retour prévu jeudi à l'AUST...

Ce mardi, il fait beau dehors. Et j'en ai marre de rester enfermée. Je veux bouger, voir du pays, faire quelque chose pour peu que je sorte d'ici ! Je propose alors aux filles d'aller au Musée National de Beyrouth, un peu plus au sud. Il est 11h et nous sortons de chez nous. Grâce aux cartes étudiantes que nous avons désormais en notre possession, nous obtenons un tarif réduit à 20 000 livres = 25 centimes. Puis nous prenons le temps d'explorer ces trésors du temps.
Ouvert en 1942, il s'agit du principal musée archéologique du Liban. Selon wikipedia : "L'inventaire comprend plus de 100 000 objets, dont la plus grande partie provient des fouilles entreprises par la Direction des antiquités. Environ 1 300 objets sont exposés de façon chronologique, depuis la Préhistoire jusqu'à la période mamelouke. Durant la guerre de 1975-1990, le secteur qui entoure l'édifice, également appelé «le Musée», était le lieu d'intenses combats entre factions armées. Le quartier du Musée est un lieu de mémoire important au Liban." Une mosaïque exposée à l'intérieur du musée, mais qui était auparavant sur une des façades extérieures, est notamment profondément marquée par un impact de tirs de la guerre civile.
Nous sommes ravies de découvrir des objets datant de l'époque phénicienne dont nous parle notre professeur de History of Lebanon (-1200 à -300) : des statuettes, des bijoux, des pièces de tissus pourpres... Jeudi, durant notre cours, il évoquera notamment le musée et son sous-sol. Si nous connaissons désormais le musée, nous nous rendons compte que nous avons omis de visiter son sous-sol !












Nous décidons à notre sortie de l'exposition de nous diriger vers la sécurité générale du Liban qui se trouve dans le même quartier. Objectif : obtenir un permis de résidence. L'AUST nous a fourni une lettre de preuve que nous sommes étudiantes. Ils nous ont dit "maintenant vous allez à la sécurité générale pour obtenir votre permis". Or, personne ne semble au courant d'une telle procédure dans le bâtiment dans lequel nous nous rendons. Nous passons un sas de sécurité, d'abord. Puis demandons à un des militaires de nous orienter. Il nous guide à un poste de contrôle. Nous devons y laisser nos téléphones en échange d'un petit bout de papier avec un numéro. Tous les téléphones sont posés sur une fenêtre. Un sonne désespérément. Nous attendons ensuite bien sagement notre tour. Le militaire à son bureau nous demande ce que nous voulons. Nous tentons de lui expliquer que nous souhaitons un permis de résidence. Sans aucun geste de sympathie, il finit par nous remplir un papier et nous indiquer (très rapidement) un bureau. 4ème étage, nous entendons. Alors nous prenons le chemin à droite, puis à gauche, il y a un bâtiment. Nous montons les 4 étages bien anciens. Il n'y a personne. Une femme finit par nous apercevoir. Très gentillement, et ça fait du bien pour une fois!, elle nous montre par la fenêtre un autre bâtiment en face. Alors, nous serions dans le mauvais. Comment aurions-nous pu le savoir? Nous redescendons les 4 étages et remontons ceux de l'autre bâtiment. Là, on essaye de nous orienter vers un bureau en particulier. Les militaires nous disent "ce n'est pas ici pour le permis". On insiste, ils nous font attendre cinq minutes. Puis alors que l'on entre enfin dans le bureau, une militaire nous assure "ce n'est pas ici les permis". Elle nous indique un autre bâtiment, plus loin dans la ville, au sein duquel nous pourrions faire notre demande. Bon.

Un peu dépitées, nous allons bredouilles à un petit restau de chawarmas. J'opte également pour un jus de fruit orange-fraise et qu'est-ce qu'il est bon! Puis nous nous dirigeons vers ce qui nous semble être un parc, le parc des Pins où tous les libanais ont accouru lors du tremblement. Et comme cela fait du bien de voir de la nature ! La pollution me pèse dans la ville. Je n'en ai pas l'habitude. Les voitures, le bruit, je supporte très peu. Alors cet espace d'un peu de nature, avec ce soleil doux, oui ça me fait du bien. Nous restons là deux heures environ. À dormir sur l'herbe, au soleil. Nous entendons les appels à la prière des mosquées aux alentours. Nous entendons ensuite de la musique, d'une manifestation ou d'un match de foot. Et puis nous rentrons à la maison, un peu avant le coucher du soleil.







Mercredi 22 février 2023, nous n'avons toujours pas cours. Aujourd'hui, nous allons skier à Faraya ! Nous attendons cela depuis notre arrivée. J'y avais pensé avant de venir, mais sans réellement y croire. Or il est 8h et nous attendons avec hâte notre chauffeur. 8h50, il n'est toujours pas là et ça nous ennerve un peu. Nous ne voulons pas commencer à skier à 15h! Il finit par arriver vers 9h, et nous voilà parties pour une heure de route avant la station. Georges, le chauffeur, nous parle un peu de Beyrouth, des villes traversées. Au village de Faraya, il nous guide jusqu'à un magasin de location d'équipements de ski. Pour 38€, je bénéficie d'une tenue complète pour la journée. Nous retournons dans le beau taxi. Georges nous aide à faire entrer les skis par la fenêtre. Puis il nous conduit jusqu'en bas des pistes, passant un contrôle militaire (peut être y a t-il une personnalité politique non loin). Cette fois-ci nous payons un forfait de 30€ pour la journée. Et c'est parti! Les remontées s'arrêtent à 15h15. Alors pendant quatre heures, nous profitons un maximum de cette belle neige. Les télésièges sont extrêmement lents et brutaux. Mais que la vue est belle ! Nous apercevons la mer au loin. Les nuages de pollutions, également. Les montagnes sont si différentes des Alpes ! En France, nous nous sentons bien petits face à mère nature qui s'impose bien au dessus de nos têtes. Ici, nous avons l'impression de nous trouver sur des dunes de sables fragiles, basses en altitude. C'est plus apaisant, moins impressionnant. Les roches sont oranges. Je n'ai pas pu tirer de photos représentatives du lieu mais j'en ai pris plein les yeux. En fin de journée (enfin, vers 15h) nous descendons notre dernière piste. Le soleil couchant est splendide sur cette neige. La descente est si belle. Il y a très peu de monde sur les pistes. Et puis, nous nous posons en bas des remontées et c'est le retour à la réalité. Beaucoup de monde, dont la plupart parle français (signe d'aisance économique). Nous profitons du soleil. Georges vient à notre rencontre. Il est l'heure de rentrer.
Nous redescendons à Faraya. Au magasin, nous rendons nos affaires. Quatre jeunes d'une dizaine d'années nous aident. Ils retirent nos chaussures, prennent nos gants, nos bâtons, m'aident même à enlever mon pantalon de ski ! En partant, nous apprendrons qu'ils ne sont pas les fils du vendeur mais ses employés. Quatre syriens, d'une dizaine d'années, à travailler tous les jours dans ce petit magasin. Abandonnant ainsi l'opportunité d'étudier.
















Sur le retour, Georges s'arrête à un petit village. "C'est de là que viennent toutes les pommes du Liban !". Il demande à un homme s'il peut nous acheter une pomme chacune. Le vendeur nous en tend. Il s'embrouille avec Georges car il ne veut pas accepter d'argent. Nous repartons, dégustant ces pommes dont nous connaissons désormais l'origine. Juste avant d'arriver chez nous, le chauffeur commence à nous faire de grands discours sur l'argent. Il nous dit "il y a des gens gentils qui me donnent beaucoup, eux je les aime bien. D'autres n'en ont rien à faire, ils ne me donnent pas beaucoup". Nous, nous avions conclu 20€ pour la voiture, 20€ pour le chauffeur. Mais à l'arrivée il nous dit : il manque 20€ pour l'essence ! Alors nous lui donnons 20€ pour l'essence... la journée est chère mais l'expérience était splendide. Nous savons que nous n'y retournerons pas, alors autant profiter aujourd'hui.
Le soir, nous mangeons tranquillement à la maison toutes les trois. Nous sommes épuisées de la journée. Avec Victoire, nous partons dans un fou rire interminable en constatant les traces de coups de soleil sur le front de Philippine. Pour une fois, j'y ai personnellement échappé.

Jeudi 23 février, c'est le retour en cours ! Nous sommes assez contentes de remettre les pieds à l'AUST. En US foreign policy, le professeur nous répète à nouveau qu'il ne sent pas bien ce semestre. Qu'il ne pense pas que nous le terminerons. L'étudiante libanaise à ma droite confirme. Nous faisons un point sur les États-Unis et leur vision du monde. Sur la guerre en Ukraine et Biden, aussi. Puis j'enchaîne avec mon cours de psychologie. Encore une fois, c'est très intéressant. Les professeurs nous ont envoyé des manuels en ligne. Ce qui est pratique, c'est qu'il suffit de les lire pour suivre le cours. Ce qui est moins bien, c'est que les professeurs (surtout en psycho) donnent seulement l'impression de répéter le manuel, sans proposer leur propre cours... En sortant, je me présente à Mohammed Ali, un ami de William (étudiant d'ESPOL en échange le semestre dernier). Très gentiment, il me dit de ne pas hésiter à le contacter si j'ai besoin de quoi que ce soit. Puis je rejoins les filles qui m'ont déjà commandé un man'ouché. Le fameux man'ouché de l'AUST. Il est particulièrement gras et rempli de fromage. Mais c'est tout ce qu'on aime ! Hélas il a un peu refroidi entre temps... Comme nous n'avons pas Human rights aujourd'hui, nous avons 3 heures de pause avant le prochain cours. Alors nous décidons de rentrer à la maison. Je m'endors rapidement. Le ski nous a claqué hier !! Dernier cours de la journée : History of Lebanon. Le professeur est super, très bienveillant et à l'écoute. Nous terminons le chapitre sur les phéniciens. Comme il a déjà mis son cours en ligne, j'arrive à suivre facilement. J'apprécie particulièrement cette matière.
15h30, nous allons faire les courses. 32,50€ pour de bonnes réserves. Nous espérons tenir quelques jours avec. Retour à la maison, nous nous reposons tranquillement dans nos chambres. Nous voilà de nouveau en week-end... Ce soir, nous attendons un employé de l'entreprise nous louant l'appartement. Il est censé récupérer notre caution pour que nous y restions plus longtemps. Or, on ne le verra pas de la soirée. Heureusement que nous n'avions rien de prévu.

Vendredi 24 février, nous pouvons enfin profiter d'une grasse matinée. 11h30, nous sortons tout de même pour nous rendre au fameux bâtiment de la sécurité générale, censé nous fournir des permis de résidence. Là, la sécurité semble déjà moins stricte que la dernière fois. Les panneaux sont traduits en anglais. Cela ne veut pas dire que les bâtiments sont mieux entretenus, mais il y a déjà une amélioration. Au premier étage, on nous dit d'attendre un peu plus loin. Bon, nous attendons. Puis, nous revenons à la charge et on s'intéresse finalement à notre cas. Le militaire nous dit qu'il lui faut une copie de notre passeport, notre visa, et deux photos d'identité. Alors nous descendons à la cafétéria faire une photocopie, mais il n'y a plus d'ancre de couleur ! Alors nous sortons du centre, traversons la route, entrons dans le mall, et faisons des photocopies. Puis nous retournons à la cafétéria, procédons à la prise de photos d'identité. Nous retournons enfin voir le militaire au premier étage. Il nous dit d'attendre. Alors, nous attendons. Une militaire prend enfin notre cas en considération, puis elle nous dit : ça ne marche pas, il vous faut d'autres documents. Moi, je trouve la situation plutôt comique. Les filles elles, sont énervées. Tranquille, ça va aller. Bref, la dame nous dit qu'il nous faut un tampon du ministère de l'éducation et une lettre d'un notaire attestant que nous ne sommes pas au Liban pour travailler. Rien que ça. Nous repartons, pour la deuxième fois bredouilles. L'AUST n'a pas bien fait les choses en nous informant si peu sur la procédure. Tant pis. Je le prends avec le sourire. Et nous verrons cela la semaine prochaine avec l'université.
De l'autre côté de la rue il y a le musée de Beyrouth. Un musée retraçant l'avant-guerre de la ville, la vision qu'en a gardé les habitants, et l'après-guerre puis l'après-explosion. De l'extérieur, je n'imaginais pas le lieu ainsi. Mais l'exposition est très complète, immersive, parlante. Il y a de multiples salles représentatives d'un autre temps, dans lequel le bâtiment en question était une discothèque réputée de Beyrouth, où les gens dansaient et se retrouvaient pour rire heureux. Les ruines ont pris le pas. Puis le musée. Nous entendons les sons, les voix, les chants, les cris d'avant, puis du présent. Je les enregistre avec mon dictaphone.
L'entrée étant gratuite, je reviendrai volontiers visiter le lieu. Il y a tant de choses qui m'ont échappée.









Nous mangeons un chicken chawarma au bord de la rue, je change de l'argent, puis nous rentrons à la maison. Il est 16h14, et je termine d'écrire sur ces quelques derniers jours.

Je me plais bien ici. Mais je ne suis pas totalement épanouie. Il manque cet aspect social de l'échange. Certes, cela ne fait que deux semaines que nous sommes là. Mais j'ai besoin de rencontrer du monde, de parler à d'autres gens. Nous venons de nous inscrire auprès d'une association de reconstruction du pays : Offre Joie. J'espère faire de belles rencontres durant mon engagement.
La nature me manque.
J'ai du mal à rester à la maison en journée. Nous sommes souvent dans nos chambres en effet, et c'est tout à fait normal car chaque chose en son temps. Nous ne devons pas nous empresser de visiter tout le pays tout de suite. Mais je ne suis pas habituer à ce temps libre que l'on a. J'aime quand ça bouge. J'aime quand je bouge. Quand je me sens stimulée par telle ou telle activité. C'est très frustrant de ne pas pouvoir gambader par ci par là librement. Certes, nous sommes sorties quatre heures aujourd'hui. Mais ça ne me semble pas assez ! L'attente est belle aussi dans un sens. Et puis j'imagine que ce rythme changera bientôt. Surtout quand nous serons dans l'association. Et que je me sentirai plus à l'aise de sortir seule dans la rue. Mais pour l'instant, c'est vrai que ça me fait bizarre. De voir le tout, au ralenti.




LIBAN. 8 - La machine beyrouthine est lancée.


Que le temps passe vite à Beyrouth… et les évènements évoluent de fil en fil, si bien que mes affirmations de la semaine dernière ne tiennent déjà plus. Je regrettais le temps libre qui n’était pas mis à profit pour découvrir du pays. Nous voilà désormais à refuser des plans car nous sommes overbookées ! Je regrettais le manque de rencontres, de nouveaux témoignages et d’échanges. Mais je pense que la machine est maintenant lancée. Nous sommes le samedi 4 mars 2023 et cela fait du bien, pour une fois, de souffler un peu ce matin. Assise sur le canapé du salon, au soleil, je prends dès lors le temps d’écrire quelques lignes selon diverses thématiques afin de vous faire part des derniers évènements de la semaine.

 



Le souk el-Ahad

Cela fait quelques temps déjà que l’on nous parle du fameux Souk El-Tayeb. Un marché à ciel ouvert dans le quartier de Mar Mikhael, à Beyrouth. Nous avions prévu de nous y rendre ce dimanche 26 février. Or, samedi soir arrive, la veille donc, et Philippine constate non pas sans déception que le marché ne se tient que le samedi matin. Changement de plan, nous cherchons un autre marché et découvrons ainsi le Souk el-Ahad (littéralement : le marché du dimanche). Dimanche matin, nous sortons de notre appartement, prenons l’ascenseur dans lequel je ne suis jamais sereine (ce qui fait bien rire les filles), et nous commençons à marcher dans les rues de Beyrouth, en direction de l’Est de la ville. Nous n’avons pas encore eu l’occasion de découvrir ce quartier. Téléphone dans la main droite, je tente comme je peux de guider la troupe. D’abord, on doute un peu de mes capacités d’orientation, et puis l’on finit par suivre sereinement ces nouvelles rues qui montent, puis qui descendent, et ces longs escaliers. Il commence à y avoir de plus en plus de monde autour de nous. Nous sommes probablement sur la bonne piste. De nombreuses personnes vendent des objets à même le sol. La précarité est frappante. Il n’y a que des hommes, par ailleurs.

Nous finissons par trouver l’entrée du souk el-Ahad. De l’extérieur, nous ne pouvons visualiser l’immense étalage se tenant à l’intérieur. Une petite porte, pour entrer dans un grand monde parallèle. Les gens s’empilent, la masse est impressionnante. Des chaussures par-ci, des livres par-là (surtout de grands classiques français), des shampoings, des outils, des antiquités, des vêtements, des olives, des cacahuètes, hoo… des cacahuètes ?! Sans grand hésitation, je m’en offre un paquet. 200 grammes pour 80 centimes. Et comme elles sont bonnes ! J’apprécie particulièrement les marchés. Surtout lorsque je ne cherche rien en particulier. Il y a une ambiance tout à fait particulière qui n’appartient qu’au lieu lui-même. Je pourrais passer des heures à trainer de stands en stands, à analyser en détails les objets mis en évidence et ceux refourgués à l’arrière-plan.

Nous ne passons pas inaperçues dans le souk, surtout Victoire et moi qui sommes grandes et ma chevelure blonde. Mais si l’on nous sourit avec plus de dents, il n’y a aucune insistance, aucune approche particulière parce que nous sommes étrangères. Les gens défilent et nous aussi. En aucun cas nous ne nous trouvons bloquées par un vendeur insistant. Et pourtant, il y a bien un épisode qui nous fera bien rire et nous surprendra grandement. Alors que nous marchons tranquillement, à tenter de ne pas nous perdre dans la foule, une dame nous interpelle en s’exclamant au milieu du passage « Ho, vous êtes françaises !!! Ma sœur vit en France !! ». Puis elle enchaine sur une multitude de questions sur la raison de notre venue ici, nos études (elle, est professeure à l’Université de Saint-Joseph, très réputée au Liban), d’où nous venons. Elle est extrêmement contente de nous rencontrer. Elle appelle sa sœur qui est en France par WhatsApp. Elle voudrait nous présenter. Mais ça sœur ne répond pas hélas… Elle appelle dès lors la fille de sa sœur, car peut-être elle décrochera ! Sans réponse une fois encore. Tant pis, la dame continue de sourire, de s’exclamer avec fierté, elle nous requiert un selfie. Puis elle demande le prénom de Victoire, le mien, et n’en a rien à faire de Philippine. Ah. Pas cool. Elle finit par lui dire « ah, mais toi aussi tu es française ? », en se tourant enfin vers elle. C’est vrai que Philou rentre mieux dans la masse libanaise que nous, étant brune et plus petite de taille. Mais quel manque de respect de ne pas la considérer car elle ne semble pas française ! Nous rigolons toute la soirée de cet épisode qui, aussi surprenant et déconcertant soit-il, nous a bien paru comique. La femme, un peu déçue que nous ne la suivions pas jusqu’à Bourj Hammoud (un fameux quartier arménien que l’on nous conseille quotidiennement), finie par nous souhaiter un bon séjour dans son pays, et nous conseille de ne pas trop trainer dans les parages du Souk.

Nous finissons par sortir de ce lieu plein de vie, je déguste avec faim mes cacahuètes et nous prenons le chemin vers Mar Mikhael, à la recherche d’un bon restaurant libanais. Samedi prochain, nous partirons à la recherche du Souk el-Tayeb.

Par ailleurs, nous passons régulièrement devant un bâtiment de Mar Mikhael, dont les vitres sont entièrement explosées. En bas, il est écrit Liban. Et je trouve que métaphoriquement,  cet immeuble reprend en partie l'ambiance du pays. 

 















Mezza libanais

Le Mezza libanais ! Vaste sujet. Comme je l’attendais celui-là… S’il y a bien un a priori pour lequel je pense avoir été juste, c’est assurément celui concernant l’aspect culinaire du Liban. Il est courant d’entendre dire que « la cuisine libanaise est la meilleure du monde ». Et bien que je sois particulièrement sensible aux bons plats français, je dois bien avouer que le Mezza libanais (ensemble de plats locaux) leur assure une rude concurrence. A ce jour, nous nous sommes rendues dans deux restaurants typiques libanais.

Loris, le premier. Situé au bout de la rue d’Arménie (rue des bars), dans le quartier de Mar Mikhael, Loris est un petit restaurant tranquille, abrité par quelques arbres, un peu reculé de la grande circulation beyrouthine. Nous l’avons trouvé un peu par hasard, guidées par nos pas depuis le Souk el-Ahad. Les prix nous ont paru raisonnables. Nous nous sommes installées en terrasse. Nous ne savions pas trop ce que nous voulions, hormis un ensemble de plats libanais. Finalement, nous avons commandé deux plats chacune à partager. Victoire tenait absolument à goûter un taboulé, ce qui nous allait très bien. Essentiellement composé de persil, d’oignons et de tomates, ce taboulé est bien différent de celui que l’on nous sert en France. Pas de couscous. Parfois, du boulghour. Vicou a également été tentée par les pommes de terres grillées, les Batata harra. Et quel délice ! A la maison, nous préparons régulièrement des pommes de terre à la poêle, mais nous n’avons pas l’huile d’olive et les herbes qui leurs vont aussi bien que dans ce restaurant. Philippine opte quant à elle pour du houmous (hommos) dont Victoire a horreur. Avant de mettre les pieds au Liban, je n’étais pas non plus particulièrement fane de cette préparation. Mais accompagné du pain libanais, c’est un régal. Celui-ci a un goût un peu plus prononcé que ceux que j’avais auparavant testé. Philou en est fane. Elle commande également une salade de halloumi grillé. Si le fromage halloumi ne me convainc pas spécialement, la salade est excellente et nous fait un bien fou. Enfin, je demande conseille au serveur qui me propose une assiette de viandes diverses. Le poulet sort du lot. J’accompagne le tout d’une limonade à la menthe (pépite !!). Et nous voilà avec une table remplie de nourriture, comme on les aime tant. Ce qui est appréciable, c’est cette impression d’être calée tout en constatant que les plats ingurgités sont bons pour la santé. Beaucoup de légumes, pommes de terre, viande. Après avoir mangé (pour 13€ chacune), nous restons une demi-heure de plus à notre table, idée de digérer un peu avant de reprendre notre marche. Sur le trajet retour, d’une trentaine de minutes, nous passons devant le musée Sursock. Il s’agit d’un musée d’art moderne et contemporain au centre de Beyrouth, inauguré en 1961. Celui-ci est architecturalement très beau. Hélas, il est temporairement fermé depuis l’explosion du 4 août 2020, pour cause de travaux de réhabilitation qui sont en train d’être achevés. Avec un peu de chance, nous aurons l’occasion de visiter ses expositions à partir de fin mai 2023.

L’os, le second. Hier, vendredi 3 mars 2023, nous avons retrouvé des amis libanais autour d’un nouveau mezza. L’Os, situé en périphérie de Beyrouth à Ain Saadeh, a dépassé nos attentes. Marc est venu nous chercher à l’appartement en voiture (difficile de vivre au Liban sans véhicule), puis nous sommes arrivés avec le petit groupe (de huit) au restaurant au-devant duquel des voituriers nous attendaient pour prendre en charge le véhicule. Ma première pensée fut « nous allons nous ruiner ce soir ». Nous avons en effet fait confiance à Marc quant à la réservation d’un restaurant, sans savoir où nous débarquerions. Or, si une grande partie de la population vit profondément la crise, une autre continue de vivre aisément dans le pays. Ne connaissant Marc que depuis peu, nous ne savions quel type de restaurant il pouvait se permettre. Notre arrivée, face à ce service nous paraissant profondément luxueux, cette architecture, ce lieu, cette fontaine, nous ont donné un premier aperçu… L’intérieur parut beaucoup plus simple dans sa configuration. Une immense salle avec une infinité de tables. Nous nous installons à une d’entre elles. Nous faisons profondément confiance aux autres pour passer la commande d’un grand mezza libanais. Marc me conseille tout de même de tester un verre de Harak en plus. Le « cousin libanais du pastis ». Sans grande hésitation, car il faut bien tester la culture locale, je le rajoute à la commande. Ce fut un très bon choix ! Puis les plats arrivent petit à petit. Nous demandons conseils quant à la meilleure façon de les déguster. Le Kebbe Naye notamment, de la viande de bœuf crue, doit être mise dans du pain libanais, avec un bout d’oignon, de l’huile d’olive, de la menthe, et mangé à la main. Hoo, oui, d’ailleurs ! Un aspect augmentant mon amour pour la cuisine libanaise tient très probablement du fait que manger avec les mains est de coutume :)) Le taboulé est encore une fois excellent, la salade, le houmous, et les plats s’enchainent sans fin. Nous terminons le pain, voilà qu’il est directement remplacé. Nous nous servons d’un plat et voilà qu’un nouveau trouve sa place sur la table. Foies de volailles, grenouilles, bâtons de fromages grillés, pains à l’ail (pas un peu d’ail, mais beaucoup beaucoup. Au réveil mon haleine en est encore imbibée ahaha), nouvelles salades, etc, etc. Cela n’en finissait plus, pour notre plus grand bonheur. Nous nous regardions avec les filles, l’air de se dire « combien tout cela va bien pouvoir nous coûter ?! ». En dessert, nous craquons tous pour un pain à la pâte à tartinée. De la pure gourmandise. La note arrive, nous faisons tous nos estimations. Je parie sur 8 500 000 livres libanaises. Certains proposent 6 000 000, d’autres 13 000 000. Finalement, je ne suis vraiment pas loin, nous en avons pour 8 650 000 livres libanaises (108€ au total, 13€ chacun). C’est Marc le plus proche, ayant estimé 8 700 000 LL. Notre a priori initial, sur l’aspect luxueux de ce restaurant, s’en trouva renversé.
























Ambiance météo

Qu’est-ce qu’il fait chaud à Beyrouth ! Il fait une vingtaine de degrés tous les jours, 27° aujourd’hui ! Nous nous réveillons le matin et déjà nous suffoquons dans l’appartement. Les grandes fenêtres font entrer toute la chaleur. Nous marchons souvent dans la journée, enchainant de nouveau montées et descentes, et la chaleur s’amplifie en accord avec nos pas. A Paris, il fait -2°. Avant de partir pour Beyrouth, j’avais longuement hésité à prendre mon gros manteau. Me décidant finalement à l’emporter en espérant aller dans les montagnes, skier ou simplement me balader. C’est vrai qu’il me fut utile au début. Etant malade et me promenant justement en altitude. Désormais, je pense qu’il ne quittera plus la poignée de ma porte de chambre. Déjà nous mettons à l’avant de nos placards les vêtements d’été. Les t-shirts à manches courtes se sont banalisés. Nous n’optons pas encore pour la clim, mais nous y pensons. Cela me fait personnellement beaucoup de bien, cette chaleur. D’autant qu’il reste un petit air frais tout de même. Peut-être pleuvra-t-il lundi. Mais la météo change d’avis, et nous annonce au contraire un superbe soleil et 28° la journée. J’aime beaucoup cette ambiance mais s’il fait si beau début mars, qu’en sera-t-il en juin ?

 



Nouvelles rencontres, la jeunesse libanaise

Cette semaine, nous avons eu l’occasion de rencontrer de nouvelles personnes, locaux comme étrangers. A commencer par Marc, évoqué un peu plus haut. Marc est un ami d’ami de Victoire. Il a notre âge, 19 ans, et fait des études d’ingénieur près de Byblos (nord de Beyrouth). Libanais, il a toujours vécu dans son pays, bien qu’il soit parti quelques semaines chez son ami en France. Nous le rencontrons donc pour la première fois autour d’un café à Ashrafieh. Directement, le courant passe super bien avec lui. Il a fait toute sa scolarité en français, ce qui facilite largement l’échange. La semaine suivante, il nous propose de le rejoindre ainsi que ses amis à un bar en périphérie de Beyrouth. Hélas, nous avons déjà une soirée de prévue. Nous décalons donc le plan pour vendredi 3 mars. Ainsi, il vient nous chercher en voiture et vous connaissez désormais la suite, nous nous sommes bien régalés à L’Os. Lors de cette soirée, nous avons rencontré son ami Riad. Lui est également libanais, mais est parti faire ses études à Montréal, Canada. Il est de retour pour ses vacances. Karen, la copine de Marc, étudie à Beyrouth, ainsi que deux autres amies. Le groupe s’est réduit avec le temps. Une grande partie de la jeunesse libanaise étant partie étudier à l’étranger. Riad nous dit notamment qu’il a plus d’amis libanais à Montréal qu’au Liban. On sent une certaine mélancolie dans la voix des quatre restants. Tous sont extrêmement accueillants et nous n’avons pas de mal à faire notre place. Nous passons la soirée à rire, à échanger sur nos parcours respectifs. Puis nous nous rendons chez Layal à la fin du dîner. En sortant de l’ascenseur, j’ai l’impression que le sol bouge. Pour une fois (car Philippine et Victoire se moquent régulièrement de moi), Karen et Victoire le ressentent également. Mais ce doit être une fausse alerte. C’est que l’on devient parano par ici. En entrant dans l’appartement, nous découvrons un espace très grand, une décoration raffinée, des tapis, des statues et des tableaux. La pièce me semble gigantesque, j’ai l’impression d’entrer dans une salle de musée. Nous allons directement nous installer sur la terrasse couverte à gauche, mais je distingue de multiples portes sur la droite. Le logement est très beau et je pense ne jamais en avoir vu de tel. Pour autant, il est bien difficile d’en estimer la valeur, tant l’économie du Liban me semble de plus en plus difficile à cerner. Nous imaginons la mer dans la nuit noire de Beyrouth, juste en dessous de l’immeuble, derrière un terrain de foot sur lequel nous distinguons des joueurs en action. Joueurs qui nous semblent si petits, qu’ils me rappellent les statuettes phéniciennes de guerriers exposées au musée national de Beyrouth. Je vois également les points lumineux en haut des buildings en aval du notre. Je me rappelle l’arrivée en avion il y a trois semaines. Ces centaines de lumières que j’admirais d’en-haut. Et je prends conscience du temps qui est déjà passé, et les aventures déjà vécues. A la fin de la soirée, après de bons moments à rire et à se triturer les méninges avec des énigmes, Marc et Karen nous raccompagnent jusqu’en bas de notre appartement. Et nous les remercions infiniment, en espérant les revoir prochainement.

A l’AUST, il n’est pas évident de rencontrer du monde avec qui nous serions susceptibles de passer plus de temps après les cours. Il me semble l’avoir déjà écrit, mais il y a une ambiance un peu déconcertante au sein du campus et des étudiants. Grosses et belles voitures, sacs Victoria’s Secret pour mettre les bouteilles d’eau, chirurgies esthétiques généralisées, impatience dans les couloirs et devant les ascenseurs comme si le temps était compté et surtout… ho, surtout… arrivées en cours bien longtemps après les heures officielles de commencement. Débarquer avec trente minutes de retard ne semble pas poser de problème. Sortir en cours pour répondre à un appel non plus. Se balader dans la classe. Un matin, la situation m’a semblé particulièrement comique. Nous sommes parties comme à notre habitude à 7h52 de l’appartement. Après cinq minutes de marche, nous sommes arrivées devant notre classe à 7h57. Et là, personne. Nous trouvons cela bizarre. 8h, toujours personne, pas de professeur, pas d’étudiants. Nous envoyons un message sur le groupe de la classe pour s’assurer qu’il y ait bien cours aujourd’hui. On nous le confirme en effet. Or, personne. Nobody. Nadie. Heu… il faut que je cherche le mot en arabe. Bref, nous demandons dès lors dans quelle classe nous avons cours, si nous avons cours en effet ! 8h05 passe. Enfin, Nadz, une étudiante que nous apprécions bien, entre dans la salle, tout autant surprise que nous de voir la salle si vide. Elle pensait en effet être la plus en retard, après 40 minutes bloquée dans le trafic. Alors qu’elle commence à pousser un coup de gueule sur le Liban et le manque de vigilance des conducteurs, sur la politique qui la déprime de plus en plus, sur la crise, le manque d’issues, la nécessité d’un changement, le professeur entre enfin dans la salle. Il s’agit donc de la bonne salle, du bon horaire. Mais personne n’en a rien à faire d’être à l’heure. Là n’est pas le centre des préoccupations. Nadz se tourne vers le professeur, lui dit à nouveau sa colère, avec un petit rire de fatigue face à la situation, un air moqueur de dérision, et affirme haut et fort comme si un poids se libérait de sa poitrine « Si je pouvais tuer tout le monde et ne garder que ma génération et les plus jeunes, je le ferais sans hésiter. Qu’est-ce qu’ils font les « adultes » pour notre pays ? Rien, ils le détruisent. Ils n’ont rien à faire là. On n’a aucun avenir. Je n’ai pas de futur. » [en anglais, mélangé avec de l’arabe]. Il est 8h10, nous sommes quatre dans la classe et entamons un débat sur la situation au Liban.

Avec les filles, nous osons peu poser nos questions, craignant de mettre sur la table des débats trop frais et controversés. Mais notre professeur de US Foreign Policy semble très impliqué et ouvert à nos interrogations. J’en profite dès lors pour demander : « comment cela se fait-il qu’il y ait autant de voitures dans le pays, tandis que l’essence est si chère ? ». Autrement dit, comment la population en grave crise économique s’offre-t-elle le luxe d’un véhicule ? Dr. Ibrahim Jouhari nous répond en trois temps. D’abord, la majorité des familles libanaises a de la famille à l’étranger. Celle-ci leur envoie de l’argent régulièrement, afin de subvenir à leurs besoins. Auparavant, les Libanais qui s’expatriaient mettaient de l’argent de côté pour eux-mêmes . Désormais, l’argent est reversé à la famille restée sur place. Je ne suis plus sûre du deuxième point, mais il me semble qu’il évoque le fait que certains salaires soient versés en dollars, permettant à une part de la population de ne pas perdre au taux de change. Enfin, le professeur note qu’une diminution du trafic routier a tout de même été observé ces dernières années. Mais en règle générale, la réponse à cette interrogation reste un grand mystère.

Nous échangeons librement sur le sujet jusqu’à 8h30 environ, attendant que les étudiants arrivent petit à petit (tandis que le cours devait commencer à 8h et finir à 9h15). Le professeur demande notamment aux étudiants un par un ce qui les pousserait à descendre dans la rue pour manifester. Nombre d’entres eux évoquent le nom d’une personnalité libanaise hautement corrompue. Comme une part de la discussion est en arabe, je n’intercepte pas toutes les informations. Nadz dit « je descendrais s’il n’y avait toujours pas de président dans deux mois ». Le professeur lui demande : « pourquoi dans deux mois ? ». A elle de répliquer « je ne sais pas, j’ai dit une échéance au hasard ». En général, nous sentons le long épuisement qui s’est installé au sein de la jeunesse libanaise, l’adaptation, l’acceptation presque, de cette situation dans laquelle ils sont plongés malgré eux. Tous sont descendus dans les rues fin 2019. Désormais, aucun ne donne vraiment l’impulsion pour manifester de nouveau. A quoi bon ? Les uns donnent les mêmes réponses que les autres. Ils ont du mal à savoir ce qui pourrait bien les mobiliser pour de bon. Peut-être ne se posent-ils plus la question. Un dit « je ne suis pas trop du type à aimer les manifestations. Et puis, s’il doit vraiment y avoir un changement, ce doit être avec des armes ». Le professeur se tourne enfin vers nous, étrangères, pour nous poser la fameuse question. Qu’attendrions-nous pour descendre dans les rues si nous étions libanaises ? Avant d’entendre nos réponses, il rigole en se rappelant que les Français non pas besoin de grand-chose pour protester. Je me dis personnellement qu’il me faudrait attendre de ressentir l’impulsion chez les autres. Je prendrais difficilement le risque de descendre dans les rues si je n'avais pas l’assurance que d’autres le feraient avec moi. Et je pense, hélas, que le problème vient en partie de là au sein de la jeunesse libanaise. Les années passent et le dégoût de la classe politique s’installe définitivement. Mais face à ce labyrinthe, ce piège sans issue, la jeunesse ne sait plus comment réagir, et finit par subir avec consentement ?

Mercredi 1er mars, nous faisons également la rencontre de deux français, étudiants à Lille et en échange à l’AUST. Nous pensions n’être que trois, mais les voilà aussi, dans la filière business et économie. Nous passons une soirée tranquille au sein d’un bar à Badaro (quartier en bas d’Ashrafieh), après avoir dégusté de très bonnes pizzas avec les filles. En troisième année de licence et première année de master, eux n’ont pas vraiment eu le choix de venir au Liban. Le classement se basant sur les moyennes académiques. Ils ont pourtant l’air de s’y faire. Apparemment, deux autres étudiants de leur école devaient venir à Beyrouth, mais leurs parents y ont finalement renoncés. C’est bien dommage… Avec Victoire et Philippine, ce pays constituait notre premier choix de destination ! Romain nous propose une soirée vendredi, mais nous la passons avec Marc et ses amis. Ce soir pourtant, samedi 4 mars, nous pensons les retrouver chez une amie d’Oscar. Notre emploi du temps se remplit, pour notre plus grand plaisir :))

 




Offre joie

Cette semaine, nous nous sommes également rendues pour la première fois dans un quartier réhabilité par l’association libanaise Offre Joie. Nous souhaitions en effet nous engager auprès d’une association afin d’utiliser intelligemment notre temps libre. Offre Joie est une ONG politiquement indépendante et non-confessionnelle fondée en 1985 par quatre jeunes de la Croix-Rouge aux religions différentes. En plein milieu de la guerre civile (1975-1990, il me faudrait probablement tenter d’écrire un peu sur le sujet dans un prochain article), leur souhait était de prôner les valeurs de l’amour (1), du respect (2) et du pardon (3), encore inscrits en dessous du logotype d’Offre Joie. Leur mission étant de « rassembler la famille libanaise en créant une oasis pour les jeunes à travers le Liban en se mobilisant autour de projets sociaux favorisant l’unité du peuple libanais ».

Depuis le 4 août 2020, la branche à Beyrouth se concentre essentiellement sur des projets de reconstructions de logements. Les ouvriers sont à la tâche du lundi au samedi, de 9h à 15h. Les volontaires se calent sur ces horaires, les jours où ils peuvent. Nous profitons dès lors de notre mercredi de libre pour nous joindre au projet se situant à Karantina (au-dessus de Mar Mikhael). 40 minutes de marche et nous y sommes. Nous rencontrons notamment Cherbel, un jeune volontaire engagé depuis plusieurs années auprès de l’ONG. Syrien, mais né au Liban. Il nous accueille au sein du bureau de l’asso, nous fournit des salopettes de travaux. Les parents de Victoire se moquent d’elle en recevant une photo, considérant qu’elle ressemble profondément à un Minion avec cette tenue. Cherbel nous présente Aboud, libanais de Tripoli, et Tangui, français en année de césure au Liban. Eux deux viennent au chantier tous les jours. Aboud est probablement un peu payé, mais au taux du pays, c’est-à-dire environ 7€ par jour, comme les ouvriers. Aujourd’hui, nous sommes chargés de poncer les barrières du bâtiment, afin de retirer le béton s’y étant accroché, avant de pouvoir les repeindre en blanc. Une tâche qui me convient bien pour commencer. Bien que nous soyons concentrés pour bien faire, je profite du temps que l’on a pour entamer la discussion avec Aboud. Hélas, celui-ci n’est vraiment pas à l’aise en anglais et l’échange ne va pas très loin. Je suis gênée de ne pas parler arabe. Tangui se déplace à un poste non loin du mien, nous permettant d’initier la discussion. Cela fait déjà six mois qu’il est au Liban et il s’y plait plutôt bien. Il a su faire de belles rencontres, trouver les bonnes adresses. A son retour en France pour les vacances de Noël, il a vu le décalage évident entre les deux pays. La superficialité de certaines mœurs françaises. Mais s’il en a beaucoup appris humainement à Beyrouth, il note cependant l’effet pervers de rester trop longtemps dans un pays en crise. Constater la pauvreté évidente jour après jour est décidément le revers de la médaille de son expérience libanaise. Après 3 heures d’effort, il est l’heure de manger. Aboud inscrit sur son téléphone et google traduction « 12h, manger ». On ne se fait pas prier (bien qu’ils nous aient déjà fourni des friandises vers 10h30). Nous suivons les garçons jusqu’à ce qui s’avère être une cantine sociale. Un lieu au milieu du quartier offrant un millier de repas par jour aux nécessiteux du coin. Offre Joie a la chance d’en bénéficier également. En attendant nos plats à une table, nous échangeons avec Tangui et les filles. Je m’excuse auprès de Aboud de ne pas parler l’arabe. Lui, nous écrit sur google traduction « Je suis très heureux d’être avec vous ». Il nous propose ensuite à tous les quatre de venir à Tripoli, sa ville, le dimanche suivant. Nous sautons évidemment sur l’occasion, bien conscientes que Tripoli n’est pas la ville la plus sure du Liban et qu’être accompagnées d’un local est une belle opportunité. Le rendez-vous est pris. Demain matin, dimanche 5 mars 2023, nous prendrons le bus pour nous y rendre !

Puis, alors que nous attendons toujours notre plat, un quiproquo se crée et j’en rougie encore de gêne en y pensant. Afin d’intégrer Aboud à nos discussions, je commence à traduire nos échanges en arabe via google traduction. J’écris à un moment « ça sent très bon », « رائحته جميلة » (rayihatuh jamila). Alors que je le tente à voix haute, Tangui me dit « jamila, ça veut pas dire « beau » ? ». Je lui répond que je souhaitais seulement parler de la nourriture que nous sentons depuis la cuisine. Or, Aboud prend mon téléphone et écrit « وانت جميل جدا » (wanat jamilat jidana), « et tu es très très belle ». Je lève les yeux vers lui et sens une gêne énorme monter en moi. Je me dis, Ho merde, il a mal compris ma phrase. Moi je voulais seulement dire que ça sentait bon !! En réalité, je ne sais toujours pas s’il a mal interprété la traduction ou s’il en a juste profité pour m’écrire ça. Quoi qu’il en soit, je tente tout l’après-midi de l’éviter un peu, afin qu’il ne se fasse pas trop d’idées à mon propos.

L’après-midi nous retournons au chantier, remplissons des brouettes à maintes reprises jusqu’à en avoir fini avec un tas de pierres. Reprenons le ponçage des barrières. Puis la journée s’achève tranquillement sur le chantier, comme elle a commencé. Nous retirons nos salopettes, échangeons une dernière fois avec Cherbel et Aboud, et reprenons le chemin retour avec Tangui. Nous faisons une pause limonade au coin d’une route. Nous sommes de retour à la maison vers 17h. Demain, nous avons cours. Car oui, cela nous arrive parfois d’étudier !

La journée avec Offre Joie fut une belle première expérience. Nous pensons revenir régulièrement. En attendant, demain, direction Tripoli.

 





J’aurais souhaité écrire plus encore sur cette dernière semaine. En initiant l’écrit du jour, j’avais dressé une liste de thèmes que je souhaitais aborder. Or cela fait presque trois heures que j’écris et il me faut désormais prendre le temps de réviser mes cours (nous avons nos premiers examens dans 10 jours). Je mets donc de côté certains sujets pour l’instant, mais j’ai bien hâte de les développer dès que possible ! Il me parait en effet important de parler plus en détails de notre vie de tous les jours, notre quotidien avec les filles au sein de l’appartement, la vie que nous sommes en train de construire à Beyrouth, les habitudes que nous prenons. Promis, je prendrai le temps de le faire prochainement !

Dans les jours à venir, nous avons un bon programme : Souk el Tayeb, Tripoli, la Bekaa, Offre Joie, etc. Plus le temps de s’ennuyer, la roue tourne et elle tourne du bon côté.


❤.





LIBAN. 9 - Rêve éveillé ?! [Tripoli, Baalbek, Byblos]


 Je n'ose pas l'écrire. Et pourtant, ça me brûle les lèvres. "Je vis un rêve éveillé", me répétais-je en boucle. Je vis un rêve éveillé. Je passe mes journées à faire ce que j'aime. Je prends le lead de mon emploi du temps. Je me sens libre, libre plus qu'il n'est permis de l'être. Les réveils me sont agréables. Les couchers me le sont d'autant plus. Et pourtant, qu'en est-il de ce si beau pays qui m'héberge ? Qu'en est-il ? Je vais bien, mais le Liban va mal. Que suis-je censée faire ?




Cela fait trois semaines que je n'ai pas pris le temps d'écrire. Loin de manquer d'inspiration, car parfois, en faisant la vaisselle, des phrases et des sujets me viennent en tête, l'explication tient probablement de mes journées qui se remplissent en conséquence d'une adaptation réussie. J'aime écrire, mais quand j'ai enfin du temps pour satisfaire ce plaisir, je prévois de nouvelles sorties, je lis, je regarde une série. Je prends le temps maintenant.



Découvertes

~Tripoli
Je nous ai laissés la veille de notre visite de Tripoli. Aboud, rencontré sur le site d'Offre Joie à Beyrouth, vit à Tripoli et nous y convie en ce dimanche 5 mars. Après une grosse soirée du samedi soir au matin, nous nous levons non sans peine vers 9h pour retrouver Tangui, un autre volontaire de l'association. C'est avec lui que nous prenons notre premier van collectif. Pour cela, nous nous mettons sur le bord de la route dans l'attente qu'un d'entre eux passe et s'arrête pour nous récupérer. Nous lui donnons notre destination, "daoura", un carrefour de routes importantes. Et nous voilà partis. C'est aussi simple que ça. À Douara, nous réitérons le processus, nous demandons au chauffeur s'il se rend à Tripoli et nous montons à l'arrière. Au Liban, les vans collectifs font des allers-retours entre le sud et le nord. Il n'y a pratiquement qu'une grosse autoroute, de Tyre à Tripoli. Sur le trajet, c'est à nous de demander au chauffeur de s'arrêter. Après environ 1h de trajet, pour 1$, nous débarquons au sein de "la ville la plus pauvre du Moyen-Orient", "la plus dangeureuse". Beaucoup de personnes nous ont déconseillées d'y aller en ces temps. La crise a généralisé la violence, d'après leur dire. Mais nous faisons confiance à Aboud et le retrouvons quelques minutes plus tard, alors que nous dégustons déjà un très bon chawarma.
Aboud a prevu tout un programme pour nous! Pour commencer, nous allons faire un tour en bateau. L'ambiance est bien différente de celle à laquelle je m'attendais. Le bord de mer est calme, ensoleillé. Les enfants jouent, les parents fument le narguilé. Tout le long de la promenade, les loueurs de voiturettes électriques, de vélos, de rollers s'enchaînent. Je tourne la tête et des jeunes plongent dans l'eau. Là-bas, d'autres partent en jet-ski à toute vitesse. Aboud a envie de nous parler, et nous aussi. Mais la barrière de la langue se fait de nouveau ressentir. Nous nous sourions tous les quatre, et ça veut déjà beaucoup dire.
Nous embarquons dans un petit bateau pour 1$ chacun. Bien moins que les 15$ payés par Tangui lors de sa dernière venue. C'est que l'art de la négociation n'est pas donné à tout le monde ahaha. Quelques autres personnes montent à bord. Puis nous partons, et cela fait du bien de prendre un peu le large. L'air est frais. Nous naviguons jusqu'à croiser une petite île faisant office de plage au milieu de la mer. Puis une deuxième, sur laquelle descendent ceux de notre embarcation. Puis nous repartons, et rentrons tranquillement. Aboud ne perd pas son sourire, nous non plus. Il a l'air rassuré de voir que nous apprécions l'activité proposé. Évidemment que nous en sommes ravis! À notre retour, il commande deux chichas double pomme (narguilés), et nous nous posons à une table au bord de l'eau. À plusieurs reprises, il m'écrit sur Google Traduction : "Je ne verrai plus jamais une telle beauté", "Tes yeux sont magnifiques", "Quels beaux cheveux", "Je suis heureux d'être avec toi", "Est-ce que tu veux des bonbons?"... heuuu quoi? Ah non, d'accord, il nous pointe du doigts un vendeur de sucreries non loin. Mais non merci, tout va bien. Tamem.
Nous nous rendons ensuite à un petit "restau". Aboud commande des shawarmas au poisson pour Tangui et lui-même. Il est extrêmement déçu (triste) de voir que nous n'en souhaitons pas. Nous avons en effet suffisement mangé avec nos derniers shawarmas. Il pensait de nouveau nous faire plaisir, surtout que lui n'a pas vraiment les moyens de se le permettre normalement. Nous repartons en direction du centre-ville, d'apparence beaucoup plus pauvre déjà. Nous nous rendons bien compte que nous évitons les quartiers véritablement en survie mais cela est assez frappant sur notre passage tout de même. Avant d'entrer dans le souk, nous retrouvons Abderayn, le grand frère d'Aboud. Aboud est très timide avec nous, surtout "en ma présence" me dit-il. Son frère quant à lui est beaucoup plus extraverti. Nous venons de le rencontrer mais déjà il court de partout, avec hâte et grande joie de nous faire découvrir sa ville. Une énergie comme telle est rare, et si bienveillante. Alors nous le suivons dans sa course folle. Passons par de grands étalages vides (car ouverts seulement le matin), par de petites rues, de grandes places, nous montons quelques escaliers pour débarquer dans un atelier de savons artisanaux tenu par un couple "de vieux". Très chaleureux, ils nous encouragent à sentir les savons un par un. J'opte finalement pour ceux à la menthe. Quelle odeur! Un moment, Abderayn donne son téléphone à Aboud afin qu'il nous filme. Il organise toute une mise en scène. Il nous fait bien rire en faisant tomber quelques pétales de rose sur trois savons en contractant son biceps pour la vidéo, avant de nous les offrir. Évidemment, lorsque la vidéo est terminée nous devons rendre les savons aux artisans car ils n'ont pas été payés. Abderayn est coach sportif/sportif sur les réseaux sociaux. Il n'en loupe pas une pour mettre en avant sa musculature. Et son humour inébranlable. Puis il reprend sa course, nous passons par-ci, par-là, débarquons dans d'anciens termes qui fonctionnent toujours. Nous ne nous attendions absolument pas à atterrir dans un tel endroit! Là, nous sommes traités comme des rois. Nous sommes recouverts de foulards, servis en thés, et pris en photo de tous les angles. Encore une fois, importante mise en scène, la fontaine au centre de la pièce est allumée, la lumière tamisée, les clichés démultipliés. Nous souhaitons seulement profiter de l'instant mais voilà que l'on nous fait entrer dans l'espace terme et que de nouveau l'on nous prend en photo partout, tout le temps. On finit par dire "jhalas" et ils comprennent bien que les photos, ce n'est pas ce qui nous importe le plus.
Le lieu me marquant d'autant plus se trouve au-dessus d'une petit place. Calme, au milieu du tumulte. Abderayn demande à un local une clé pour un passage secret. Nous le suivons sans savoir où nous mettons les pieds, grimpons quelques escaliers dans le noir, passons quelques portes et enfin, ressortons sur les toits de la ville, à la vue du soleil couchant. Quel moment. Comme il m'est précieux. Je sens les larmes me monter aux yeux. Ce soleil, cette vue, cette tranquillité, ce dépaysement. Nous restons silencieux, appréciant l'instant présent. Des oiseaux passent au dessus de nous. Un tripolien siffle et voilà que les oiseaux font demi-tour. Abderayn est comme un fou, impressionné, il demande au monsieur de réitérer. Voilà que celui-ci se remet à siffler, une fois, dans un son sec et fort, et les oiseaux tournent à 180°. Puis, le grand frère ramasse quelques fleurs jaunes alors que nous avons le dos tourné, donne de nouveau son téléphone à Aboud pour filmer. Et il nous met derrière l'oreille chacune une fleur colorée. Je lui en mets une à mon tour, puis nous redescendons. Je n'ai pas envie de redescendre pourtant. Cette vue me fait du bien. Nous nous sentons loin de tout et notre regard se perd entre les toits.
La journée vient à sa fin. Alors que nous assistons à un spectacle de clowns sur la place principale, Aboud nous offre de petits gâteaux au sésame. Un pur régale. Qu'il est impressionnant de voir cette résilience au sein du peuple en crise, ces rires d'enfants mais surtout de grands face à ces jeux de mimes...
Nous récupérons un van collectif et nous rentrons sur Beyrouth. En 3 heures cette fois-ci, trafic routier oblige.



























~Baalbek, la Bekaa
Un samedi nous nous sommes rendues dans la vallée de la Bekaa avec un employé de l'AUST, Zyad, qui nous y a très généreusement conduites. Baalbek en est la ville la plus connue par les touristes. Elle habrite un fameux site archéologique classé au patrimoine de l'Unesco. Moi qui suis ordinairement peu attirée par ces monuments, je me plais finalement à me poser au milieu du temple de Bacchus, dieu du vin, en ce samedi matin. Comme c'est impressionnant ! Puis nous reprenons la route, enchainant les contrôles militaires (la région est sous contrôle du Hezbollah, par ailleurs). Nous dégustons une nouvelle spécialité dont j'ai malheureusement oublié le nom. Victoire tente d'en réaliser quelques uns. En vain. Il faut un sacré coup de main.
Zyad nous conduit ensuite à une des deux caves de vin les plus réputées. Château Ksara, l'autre étant Kefraya. Nous assistons à une courte visite puis dégustons trois vins. Vin rouge, rosé, blanc. Nous offrons une bouteille de rosé à Zyad à la fin. Il nous fait ensuite découvrir un lieu où se prépare le Lebneh, une sorte de fromage frais dont je me régale avec un man'ouché. En partant ce matin d'ailleurs, Zyad nous a proposé un stop petit-déjeuner au bord de la route. Il nous a offert à toutes les trois une sorte de pain pita au fromage frais et au miel. La surprise du goût passée (il ne nous avait pas dit ce dont il s'agissait), je me suis régalée. Les filles ont fait bonne figure mais ont eu bien du mal à finir. Surtout à cause de la texture. J'en reprendrais bien un !
Dans ce lieu de fabrication de Lebneh, nous rendons visite aux vaches et aux oiseaux. Puis nous faisons un tour du parc, contournant un petit point d'eau. Encore une fois, cela me fait du bien de voir de la nature. Tous les trois se moquent lorsque je leur fais part de mon envie de faire un câlin aux arbres. Cette connexion à la nature, comme elle est importante. J'espère convertir les filles à cette énergie naturelle d'ici la fin du semestre !
Nous faisons également un stop dans la ville de Zahle, qui étonnement me fait penser aux villes françaises. Pour une fois, il y a des passages piétons ! Et des petits commerces. Le coin reste relativement vidé de sa population tout de même.











































~ Anfeh
Le lendemain, nous retrouvons Louis, chez qui nous avons déjà passé quelques soirées, afin de nous rendre à Anfeh. Nous prenons une seconde fois les vans collectifs jusqu'à nous arrêter au bord de la route près du village portuaire. Nous marchons pour un temps. Puis nous découvrons une jolie plage que nous longeons. Objectif : trouver un restaurant au bord de mer. Sans trop tarder nous nous installons pour déguster un mezze. Louis insiste pour commander une sorte de houmous à l'aubergine. Lorsque le plat arrive, il est infect. Même lui le confirme. J'ai comme l'impression de manger dans un cendrier. Les pommes de terres, quant à elles, sont bien bonnes. Pour l'après-midi, nous nous posons sur une terrasse de restaurant vide, au dessus de l'eau. Je me baigne sans plus tarder. Comme l'eau est bonne! Je ressens tout de suite ce bonheur d'être dans l'eau. Une eau claire et plate. Je m'éloigne du bord, me prélasse en étoile, écoute le bruit des profondeurs. Je perçois des poissons non loin de moi. Victoire se met à l'eau, mais remonte peu de temps ensuite. Philippine fait une sieste. Louis aussi, un peu enrhumé de la veille. Je remonte finalement, enregistre le son du clapot de la mer avec Robert mon enregistreur, puis me prélasse à mon tour au soleil. Le temps passe, nous souhaitons qu'il s'éternise. Nous allumons l'enceinte et faisons quelques jeux de cartes. La vie paraît si simple. Comme un songe.









~ Byblos
Nous découvrons Byblos enfin. Seulement toutes les trois cette fois-ci. Byblos est également une ville portuaire mais bien plus vibrante de touristes que Anfeh. Après avoir passé le souk, très agréable, mais tellement touristique (il y a peu de monde, mais ceux que nous croisons n'ont pas l'air du coin), nous faisons un tour par le vieux port et ses bateaux de pêcheurs. Nous mangeons un mezze dans un restaurant totalement vide. Peut-être le ramadan y est pour quelque chose. Je pense que la crise y est pour beaucoup plus. Le coin est très sympa par ailleurs. Abrité par quelques arbres. Convivial et ouvert. Victoire craque pour un Hamburger. Nous nous régalons. L'après-midi nous visitons le site archéologique phénicien, romain, byzantin, ottoman... classé au patrimoine de l'Unesco. Puis nous terminons la journée au bord de l'eau. À rire, toujours, et à remercier la vie pour ses surprises.














Rencontres

Ces dernières semaines ont également été animées par de nouvelles rencontres. Nous avons passé une super première soirée chez Louis et Océane le soir de mon dernier article. Là-bas nous avons rencontré d'autant plus de monde. Français, Libanais, Espagnols, Allemands, etc. Les jours qui ont suivi nous en avons revu certains, avons de nouveau été invitées pour quelques soirées à Mar Mikhael ou chez Louis. Nous avons passé quelques soirées dans des bars du quartier, admiré les tours de magie d'un barman en particulier, enregistré toujours plus de dingueries sur mon dictaphone Robert. Nous avons commencé des cours de dialecte libanais à la maison avec un professeur particulier, galérant avec Romain et Oscar les deux autres lillois de l'AUST. Nous avons passé une soirée avec des marins français, Raphaël, Corentin et les autres de leur équipage, avons été dans notre première boîte libanaise dont l'entrée se fait par un ascenseur à l'apparence de cage. Comme si nous étions des animaux sauvages. Et en effet, de pauvres bêtes salivaient presque à la vue de ces nouvelles gazelles qui débarquaient dans la savane. Pauvres bêtes répétais-je, mais nous avions nos bodyguards. Boîtes par ailleurs réservées au +21 ans mais ce n'est pas si difficile de passer quand on a l'apparence de gens qui ont de l'argent. Facilitée, évidemment, qui crée un gap profond au sein de la population.



Vie quotidienne

La vie à la maison se passe parfaitement bien. Victoire et Philippine sont plutôt faciles à vivre ;) On rigole bien. Nous vivons au 5ème étage d'un grand et moderne bâtiment, dans le quartier d'Achrafieh. Nous avons une cuisine, un salon, une salle de bain, une demi-salle de bain et trois chambres. De l'électricité au moins 20h par jour. Suffisement de gaz pour nous nourrir.
Lorsque nous sommes à la maison la journée, nous descendons régulièrement manger un man'ouché chez un restaurateur 500m plus bas. Le meilleur et le moins cher. Sinon, il nous arrive de plus en plus de commander un man'ouché ou un shawarma directement depuis la maison. La plupart du temps, une d'entre nous prépare à manger pour les trois. Pâtes au thon et à la crème, un de nos meilleurs repas. Patates sautées, très régulièrement. J'opte souvent pour du poulet, riz, et poivrons. Une fois par semaine nous passons aussi par les boîtes de conserve aux petits pois lentilles. Victoire est un glouton. Philou est super lente à manger. Les deux sont fan de sel. Moi, j'essaye de méditer sur la sensation de chaque aliment sur mes papilles gustatives. On se fout de ma gueule encore une fois. En fait, on se fout de la gueule de chacune. À la fin du repas, une d'entre nous fait la vaisselle. Pour le ménage, ce n'est arrivé qu'une seule fois, une fait la cuisine, l'autre le salon, la dernière la salle de bain. Tout roule.
Pour les courses, on fait régulièrement le plein de bouteilles d'eau. Mortel de boire au robinet, une recrudescence de choléra a été déclaré. Enfin, on se brosse les dents à l'eau courante mais il vaut mieux éviter d'en abuser. Sinon, on se rend une fois par semaine au Spinneys, un supermarché à 600m de chez nous. On y trouve de tout, les prix sont relativement équivalent à ceux en France. Hormis les fruits et légumes, beaucoup moins chers et que nous prenons souvent dans de petits commerces, et surtout, le chocolat, beaucoup trop cher. Ah si!! Les yaourts. Holala les yaourts, sacrée histoire. Philou et Vicou en raffolent. Alors, nous en prenons à chaque fois. Au moins 2 packs de 4 yaourts aux fruits et un  pack nature. Apparement, les premiers sont à 1€60 et le second à 60 centimes. Or, un jour, la note nous a paru plus salée qu'avant (60€=6 000 000 LBN). Je venais d'échanger 50€ et j'ai du abandonner tous mes billets en une fois 🥲. En regardant en détails le reçu d'achat, je constate que les yaourts avaient en réalité étaient achetés à l'unité !! Nous en avions donc eu pour plus de 10€ de yaourts. Du grand luxe. Bref, normalement, on ne fait pas d'excès.
Sinon, il n'y a pas de recyclage, et pas de boîtes aux lettres. Non, il n'y a pas de lien entre les deux, hormis le fait que ça témoigne d'un pays en manque de services qui nous semblent si basiques.
Le mardi et le jeudi nous nous rendons à l'université. Le midi (enfin, pendant notre pause à 11h...) nous dégustons un man'ouché du cuisto du campus. Un régal. Ensuite nous rentrons à la maison pour une heure de sieste avant de suivre un cours de Human rights en ligne. Nous retournons ensuite à l'université pour notre dernier cours de la journée, History of Lebanon. Les élèves sont toujours autant en retard.
Cette semaine, nous avons eu notre première période d'examens ! Nous avons passé presque 8 jours à ne penser qu'aux révisions et aux partiels. 4 matières donc 4 examens, sur 4 jours. Vendredi, lundi, mardi, mercredi. Human rights, le premier, s'est relativement bien passé. Nous avons été extrêmement surprises de voir qu'aucune salle n'avait été prévue pour nous et que nous avons ainsi été dans une avec des élèves d'autres spécialités. Optique et bio il me semble. Cela semble finalement normal et la chose s'est répétée à chaque épreuve. Les élèves parlent sans gêne, les téléphones (des surveillants aussi) sonnent, beaucoup trichent. Et même lorsqu'il sont surpris de triche, ils ont un "avertissement" informel, mais on sent bien qu'il n'y a pas de véritable sanction. De toute manière, je ne sais pas bien comment ils peuvent tricher. Nous avons à chaque fois seulement 1h30 pour rédiger 3 à 4 essais, plus des définitions et des qcm. Le concept est bien différent de nos partiels à Lille, pour lesquels nous disposons de 3 à 4 heures pour rédiger un essai approfondi. Là, je n'ai l'impression de ne faire que recracher des informations sans pouvoir réfléchir ou nuancer mes propos... je ne suis pas sûre que ça me convienne, mais c'est une autre manière de faire ! Le partiel de US Foreign Policy nous paraît notamment impossible à réaliser tant le professeur nous donne de consignes pour si peu de temps. En revanche, je suis très heureuse d'avoir eu 98/100 en psychologie (la professeure a corrigé en deux jours!!!).
Finis les exams, et qu'est-ce que ça fait du bien!! Nous en aurons de nouveau dans un mois, puis en juin pour les examens de fin d'année. Ça nous a quand même plus pris la tête que nous ne l'aurions pensé. Désormais, nous reprenons nos visites du pays, nos instants de liberté.



Redescendons un peu sur terre...

Jeudi, je me suis rendue dans un salon d'esthétique pour une épilation. Parlons de tout, c'est important. En arrivant, je précise que je n'ai pas de rendez-vous et demande s'il y a un créneau disponible. La dame me dit qu'il n'y a pas de problème, cela me coûtera 6 euros. Bon, très bien! Très économique (au moins 25 en France). Puis, elle me dirige vers un coiffeur en me disant que je vais commencer par me faire laver les cheveux. Très surprise, je lui dis que je n'en ai pas besoin (bien que mes cheveux ne soient pas très propres à cet instant là) mais elle insiste, surprise à son tour de ma surprise, en me précisant que c'est compris dans le prix. J'accepte. Une dame me lave les cheveux, sent que mon cou est particulièrement tendu, me fait un massage, et c'est vrai que ça me fait du bien. Et puis, je me dis, "mais merde alors, je pense qu'il y a eu un malentendu". Ma pensée est confirmé lorsque l'on me place ensuite devant un miroir et que le coiffeur me dit "Alors, quelle est l'occasion du jour? Quelle coupe souhaitez-vous?". Je le regarde, gênée. Je lui réponds "alors en fait il y a eu un malentendu, je venais seulement pour une épilation et je me suis retrouvée à me faire laver les cheveux 😬". Il s'immobilise un peu, gêné à son tour. Puis je lui dis "mais tant pis, l'occasion du jour est de passer une excellente journée !". Il me fait des boucles qui resteront trois jours. Et je dois dire que pour une première fois où je me rends chez le coiffeur (or le salon de ma tante), c'est vrai que l'on se sent bien lorsque l'on est bien coiffé. Enfin bon, ce n'est pas ce que je souhaitais initialement ! Alors je retourne à la caisse avec mes boucles blondes et parfaites, et demande si un créneau d'épilation est libre. Elle me dit qu'il n'y a pas de problème, et je suis prise en charge sans plus tarder par une estheticienne.
Pendant une heure, nous discutons de tout et de rien. Évidemment, surtout du Liban et de la crise. Lorsque nous sommes lancées sur le sujet, Mounia n'en change plus. Elle a besoin de parler, de pousser son coup de gueule, d'extérioriser. C'est que rien ne va plus. Du tout. La survie est généralisée. La souffrance des familles banalisées. Nous, les étrangers (et elle est absolument juste sur ce point et c'est en même temps difficile d'en déroger) sommes incapables de prendre la mesure du désastre. Nous vivons bien dans ce pays, répondons avec gaieté lorsque l'on nous demande si nous aimons le Liban "Ho oui! Quel pays! We love it!" Mais comment osons nous dire que nous aimons ce pays alors que nous n'en connaissons qu'une bien petite facette ? Comment même oser répondre ainsi à ceux qui le déteste du plus profond de leur âme ?
Nous ne connaissons pas le Liban et nous aurons du mal à le connaître, même après plusieurs mois, plusieurs années. Le Liban, c'est une catastrophe auto-dégénérative. Le taux de change est monté récemment à 1$=140 000LBN. Il n'y a pas de retour en arrière. Qu'une chute libre. Il y a peu d'espoir. Beaucoup de fatalité. Beaucoup de pauvreté. Beaucoup de malheurs.
Mounia me parle de sa difficulté à vivre, de son désespoir. Beyrouth est en fleur mais le pays est fané. "Il n'y a plus rien à faire. On se voit chavirer, et il n'y a rien à faire. Ce n'était pas comme ça avant." Il n'y a plus rien à faire. Il n'y a plus rien à faire. Le ministre de l'économie n'a même pas pris la peine d'organiser une réunion officielle avec le directeur général de la Banque du Liban. Comme s'il n'y avait rien d'urgent. Il n'y a peut-être plus rien d'urgent en effet, puisque les cartes sont jouées. Savez-vous qui est le propriétaire du grand Casino de Beyrouth ? La Banque du Liban. C'est vrai que dit comme ça, si le pays compte sur un casino pour faire tourner son économie, il ne va pas aller bien loin...
Mounia est sous antidépresseurs. Mais il n'y a plus de médicaments au Liban. Les pharmacies ont même été forcées de fermer trois jours cette semaine. Il faut aller en Turquie pour se fournir en médicaments. Mounia a envoyé son oncle en Syrie pour lui en chercher. Même là-bas, il y en a habituellemment. Hors, au milieu de ma séance, mon estheticienne reçoit un appel de son oncle. Hélas, cette fois-ci, il ne pourra pas lui ramener de réserves. Elle me regarde avec un air désespéré, achevée. Que va-t-elle bien pouvoir faire ? Sa dernière chance est d'en faire venir de France... mais y parviendra-t-elle ?

La situation est désespérée, et nous, nous passons du bon temps. Il est ecrit "Hope" dans les rues de Beyrouth. Mais quel espoir ? La livre continue de perdre de la valeur, l'inflation s'accentue, toujours pas de président. Que faire ? Comment réagir ? Je donne de l'argent à quelques personnes dans la rue. Mais beaucoup sont exploités par de plus grandes organisations. On donne si peu, et tellement dans le vent.
La situation est desespérée et moi je vous écris que "je vis un rêve éveillé". Je n'ose plus l'écrire.
Pourquoi la vie est-elle aussi injuste ?



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