LIBAN. 🇱🇧 8 - La machine beyrouthine est lancée.
Que le temps passe vite à
Beyrouth… et les évènements évoluent de fil en fil, si bien que mes
affirmations de la semaine dernière ne tiennent déjà plus. Je regrettais le
temps libre qui n’était pas mis à profit pour découvrir du pays. Nous voilà
désormais à refuser des plans car nous sommes overbookées ! Je regrettais
le manque de rencontres, de nouveaux témoignages et d’échanges. Mais je pense
que la machine est maintenant lancée. Nous sommes le samedi 4 mars 2023 et cela
fait du bien, pour une fois, de souffler un peu ce matin. Assise sur le canapé
du salon, au soleil, je prends dès lors le temps d’écrire quelques lignes selon
diverses thématiques afin de vous faire part des derniers évènements de la
semaine.
Le souk el-Ahad
Cela fait quelques temps déjà que
l’on nous parle du fameux Souk El-Tayeb. Un marché à ciel ouvert dans le
quartier de Mar Mikhael, à Beyrouth. Nous avions prévu de nous y rendre ce
dimanche 26 février. Or, samedi soir arrive, la veille donc, et Philippine
constate non pas sans déception que le marché ne se tient que le samedi matin.
Changement de plan, nous cherchons un autre marché et découvrons ainsi le Souk
el-Ahad (littéralement : le marché du dimanche). Dimanche matin, nous
sortons de notre appartement, prenons l’ascenseur dans lequel je ne suis jamais
sereine (ce qui fait bien rire les filles), et nous commençons à marcher dans
les rues de Beyrouth, en direction de l’Est de la ville. Nous n’avons pas
encore eu l’occasion de découvrir ce quartier. Téléphone dans la main droite,
je tente comme je peux de guider la troupe. D’abord, on doute un peu de mes
capacités d’orientation, et puis l’on finit par suivre sereinement ces
nouvelles rues qui montent, puis qui descendent, et ces longs escaliers. Il
commence à y avoir de plus en plus de monde autour de nous. Nous sommes
probablement sur la bonne piste. De nombreuses personnes vendent des objets à
même le sol. La précarité est frappante. Il n’y a que des hommes, par ailleurs.
Nous finissons par trouver l’entrée
du souk el-Ahad. De l’extérieur, nous ne pouvons visualiser l’immense étalage
se tenant à l’intérieur. Une petite porte, pour entrer dans un grand monde
parallèle. Les gens s’empilent, la masse est impressionnante. Des chaussures
par-ci, des livres par-là (surtout de grands classiques français), des
shampoings, des outils, des antiquités, des vêtements, des olives, des cacahuètes,
hoo… des cacahuètes ?! Sans grand hésitation, je m’en offre un paquet. 200
grammes pour 80 centimes. Et comme elles sont bonnes ! J’apprécie
particulièrement les marchés. Surtout lorsque je ne cherche rien en
particulier. Il y a une ambiance tout à fait particulière qui n’appartient
qu’au lieu lui-même. Je pourrais passer des heures à trainer de stands en
stands, à analyser en détails les objets mis en évidence et ceux refourgués à
l’arrière-plan.
Nous ne passons pas inaperçues
dans le souk, surtout Victoire et moi qui sommes grandes et ma chevelure
blonde. Mais si l’on nous sourit avec plus de dents, il n’y a aucune
insistance, aucune approche particulière parce que nous sommes étrangères. Les
gens défilent et nous aussi. En aucun cas nous ne nous trouvons bloquées par un
vendeur insistant. Et pourtant, il y a bien un épisode qui nous fera bien rire
et nous surprendra grandement. Alors que nous marchons tranquillement, à tenter
de ne pas nous perdre dans la foule, une dame nous interpelle en s’exclamant au
milieu du passage « Ho, vous êtes françaises !!! Ma sœur vit en
France !! ». Puis elle enchaine sur une multitude de questions sur la
raison de notre venue ici, nos études (elle, est professeure à l’Université de
Saint-Joseph, très réputée au Liban), d’où nous venons. Elle est extrêmement
contente de nous rencontrer. Elle appelle sa sœur qui est en France par WhatsApp.
Elle voudrait nous présenter. Mais ça sœur ne répond pas hélas… Elle appelle
dès lors la fille de sa sœur, car peut-être elle décrochera ! Sans réponse
une fois encore. Tant pis, la dame continue de sourire, de s’exclamer avec
fierté, elle nous requiert un selfie. Puis elle demande le prénom de Victoire,
le mien, et n’en a rien à faire de Philippine. Ah. Pas cool. Elle finit par lui
dire « ah, mais toi aussi tu es française ? », en se tourant
enfin vers elle. C’est vrai que Philou rentre mieux dans la masse libanaise que
nous, étant brune et plus petite de taille. Mais quel manque de respect de ne
pas la considérer car elle ne semble pas française ! Nous rigolons toute
la soirée de cet épisode qui, aussi surprenant et déconcertant soit-il, nous a
bien paru comique. La femme, un peu déçue que nous ne la suivions pas jusqu’à
Bourj Hammoud (un fameux quartier arménien que l’on nous conseille
quotidiennement), finie par nous souhaiter un bon séjour dans son pays, et nous
conseille de ne pas trop trainer dans les parages du Souk.
Nous finissons par sortir de ce
lieu plein de vie, je déguste avec faim mes cacahuètes et nous prenons le
chemin vers Mar Mikhael, à la recherche d’un bon restaurant libanais. Samedi prochain,
nous partirons à la recherche du Souk el-Tayeb.
Par ailleurs, nous passons régulièrement devant un bâtiment de Mar Mikhael, dont les vitres sont entièrement explosées. En bas, il est écrit Liban. Et je trouve que métaphoriquement, cet immeuble reprend en partie l'ambiance du pays.
Mezza libanais
Le Mezza libanais ! Vaste
sujet. Comme je l’attendais celui-là… S’il y a bien un a priori pour lequel je
pense avoir été juste, c’est assurément celui concernant l’aspect culinaire du
Liban. Il est courant d’entendre dire que « la cuisine libanaise est la
meilleure du monde ». Et bien que je sois particulièrement sensible aux
bons plats français, je dois bien avouer que le Mezza libanais (ensemble de
plats locaux) leur assure une rude concurrence. A ce jour, nous nous sommes
rendues dans deux restaurants typiques libanais.
Loris, le premier. Situé
au bout de la rue d’Arménie (rue des bars), dans le quartier de Mar Mikhael,
Loris est un petit restaurant tranquille, abrité par quelques arbres, un peu
reculé de la grande circulation beyrouthine. Nous l’avons trouvé un peu par
hasard, guidées par nos pas depuis le Souk el-Ahad. Les prix nous ont paru
raisonnables. Nous nous sommes installées en terrasse. Nous ne savions pas trop
ce que nous voulions, hormis un ensemble de plats libanais. Finalement, nous
avons commandé deux plats chacune à partager. Victoire tenait absolument à
goûter un taboulé, ce qui nous allait très bien. Essentiellement composé de
persil, d’oignons et de tomates, ce taboulé est bien différent de celui que
l’on nous sert en France. Pas de couscous. Parfois, du boulghour. Vicou a
également été tentée par les pommes de terres grillées, les Batata harra. Et
quel délice ! A la maison, nous préparons régulièrement des pommes de
terre à la poêle, mais nous n’avons pas l’huile d’olive et les herbes qui leurs
vont aussi bien que dans ce restaurant. Philippine opte quant à elle pour du
houmous (hommos) dont Victoire a horreur. Avant de mettre les pieds au Liban,
je n’étais pas non plus particulièrement fane de cette préparation. Mais
accompagné du pain libanais, c’est un régal. Celui-ci a un goût un peu plus
prononcé que ceux que j’avais auparavant testé. Philou en est fane. Elle
commande également une salade de halloumi grillé. Si le fromage halloumi ne me
convainc pas spécialement, la salade est excellente et nous fait un bien fou.
Enfin, je demande conseille au serveur qui me propose une assiette de viandes
diverses. Le poulet sort du lot. J’accompagne le tout d’une limonade à la
menthe (pépite !!). Et nous voilà avec une table remplie de nourriture,
comme on les aime tant. Ce qui est appréciable, c’est cette impression d’être
calée tout en constatant que les plats ingurgités sont bons pour la santé.
Beaucoup de légumes, pommes de terre, viande. Après avoir mangé (pour 13€
chacune), nous restons une demi-heure de plus à notre table, idée de digérer un
peu avant de reprendre notre marche. Sur le trajet retour, d’une trentaine de
minutes, nous passons devant le musée Sursock. Il s’agit d’un musée d’art
moderne et contemporain au centre de Beyrouth, inauguré en 1961. Celui-ci est
architecturalement très beau. Hélas, il est temporairement fermé depuis
l’explosion du 4 août 2020, pour cause de travaux de réhabilitation qui sont en
train d’être achevés. Avec un peu de chance, nous aurons l’occasion de visiter
ses expositions à partir de fin mai 2023.
L’os, le second. Hier, vendredi 3 mars 2023, nous avons retrouvé des amis libanais autour d’un nouveau mezza. L’Os, situé en périphérie de Beyrouth à Ain Saadeh, a dépassé nos attentes. Marc est venu nous chercher à l’appartement en voiture (difficile de vivre au Liban sans véhicule), puis nous sommes arrivés avec le petit groupe (de huit) au restaurant au-devant duquel des voituriers nous attendaient pour prendre en charge le véhicule. Ma première pensée fut « nous allons nous ruiner ce soir ». Nous avons en effet fait confiance à Marc quant à la réservation d’un restaurant, sans savoir où nous débarquerions. Or, si une grande partie de la population vit profondément la crise, une autre continue de vivre aisément dans le pays. Ne connaissant Marc que depuis peu, nous ne savions quel type de restaurant il pouvait se permettre. Notre arrivée, face à ce service nous paraissant profondément luxueux, cette architecture, ce lieu, cette fontaine, nous ont donné un premier aperçu… L’intérieur parut beaucoup plus simple dans sa configuration. Une immense salle avec une infinité de tables. Nous nous installons à une d’entre elles. Nous faisons profondément confiance aux autres pour passer la commande d’un grand mezza libanais. Marc me conseille tout de même de tester un verre de Harak en plus. Le « cousin libanais du pastis ». Sans grande hésitation, car il faut bien tester la culture locale, je le rajoute à la commande. Ce fut un très bon choix ! Puis les plats arrivent petit à petit. Nous demandons conseils quant à la meilleure façon de les déguster. Le Kebbe Naye notamment, de la viande de bœuf crue, doit être mise dans du pain libanais, avec un bout d’oignon, de l’huile d’olive, de la menthe, et mangé à la main. Hoo, oui, d’ailleurs ! Un aspect augmentant mon amour pour la cuisine libanaise tient très probablement du fait que manger avec les mains est de coutume :)) Le taboulé est encore une fois excellent, la salade, le houmous, et les plats s’enchainent sans fin. Nous terminons le pain, voilà qu’il est directement remplacé. Nous nous servons d’un plat et voilà qu’un nouveau trouve sa place sur la table. Foies de volailles, grenouilles, bâtons de fromages grillés, pains à l’ail (pas un peu d’ail, mais beaucoup beaucoup. Au réveil mon haleine en est encore imbibée ahaha), nouvelles salades, etc, etc. Cela n’en finissait plus, pour notre plus grand bonheur. Nous nous regardions avec les filles, l’air de se dire « combien tout cela va bien pouvoir nous coûter ?! ». En dessert, nous craquons tous pour un pain à la pâte à tartinée. De la pure gourmandise. La note arrive, nous faisons tous nos estimations. Je parie sur 8 500 000 livres libanaises. Certains proposent 6 000 000, d’autres 13 000 000. Finalement, je ne suis vraiment pas loin, nous en avons pour 8 650 000 livres libanaises (108€ au total, 13€ chacun). C’est Marc le plus proche, ayant estimé 8 700 000 LL. Notre a priori initial, sur l’aspect luxueux de ce restaurant, s’en trouva renversé.
Ambiance météo
Qu’est-ce qu’il fait chaud à Beyrouth ! Il fait une vingtaine de degrés tous les jours, 27° aujourd’hui ! Nous nous réveillons le matin et déjà nous suffoquons dans l’appartement. Les grandes fenêtres font entrer toute la chaleur. Nous marchons souvent dans la journée, enchainant de nouveau montées et descentes, et la chaleur s’amplifie en accord avec nos pas. A Paris, il fait -2°. Avant de partir pour Beyrouth, j’avais longuement hésité à prendre mon gros manteau. Me décidant finalement à l’emporter en espérant aller dans les montagnes, skier ou simplement me balader. C’est vrai qu’il me fut utile au début. Etant malade et me promenant justement en altitude. Désormais, je pense qu’il ne quittera plus la poignée de ma porte de chambre. Déjà nous mettons à l’avant de nos placards les vêtements d’été. Les t-shirts à manches courtes se sont banalisés. Nous n’optons pas encore pour la clim, mais nous y pensons. Cela me fait personnellement beaucoup de bien, cette chaleur. D’autant qu’il reste un petit air frais tout de même. Peut-être pleuvra-t-il lundi. Mais la météo change d’avis, et nous annonce au contraire un superbe soleil et 28° la journée. J’aime beaucoup cette ambiance mais s’il fait si beau début mars, qu’en sera-t-il en juin ?
Nouvelles rencontres, la
jeunesse libanaise
Cette semaine, nous avons eu l’occasion
de rencontrer de nouvelles personnes, locaux comme étrangers. A commencer par
Marc, évoqué un peu plus haut. Marc est un ami d’ami de Victoire. Il a notre
âge, 19 ans, et fait des études d’ingénieur près de Byblos (nord de Beyrouth). Libanais,
il a toujours vécu dans son pays, bien qu’il soit parti quelques semaines chez
son ami en France. Nous le rencontrons donc pour la première fois autour d’un
café à Ashrafieh. Directement, le courant passe super bien avec lui. Il a fait
toute sa scolarité en français, ce qui facilite largement l’échange. La semaine
suivante, il nous propose de le rejoindre ainsi que ses amis à un bar en
périphérie de Beyrouth. Hélas, nous avons déjà une soirée de prévue. Nous décalons
donc le plan pour vendredi 3 mars. Ainsi, il vient nous chercher en voiture et
vous connaissez désormais la suite, nous nous sommes bien régalés à L’Os.
Lors de cette soirée, nous avons rencontré son ami Riad. Lui est également
libanais, mais est parti faire ses études à Montréal, Canada. Il est de retour
pour ses vacances. Karen, la copine de Marc, étudie à Beyrouth, ainsi que deux
autres amies. Le groupe s’est réduit avec le temps. Une grande partie de la
jeunesse libanaise étant partie étudier à l’étranger. Riad nous dit notamment
qu’il a plus d’amis libanais à Montréal qu’au Liban. On sent une certaine mélancolie
dans la voix des quatre restants. Tous sont extrêmement accueillants et nous n’avons
pas de mal à faire notre place. Nous passons la soirée à rire, à échanger sur
nos parcours respectifs. Puis nous nous rendons chez Layal à la fin du dîner.
En sortant de l’ascenseur, j’ai l’impression que le sol bouge. Pour une fois
(car Philippine et Victoire se moquent régulièrement de moi), Karen et Victoire
le ressentent également. Mais ce doit être une fausse alerte. C’est que l’on
devient parano par ici. En entrant dans l’appartement, nous découvrons un
espace très grand, une décoration raffinée, des tapis, des statues et des tableaux.
La pièce me semble gigantesque, j’ai l’impression d’entrer dans une salle de
musée. Nous allons directement nous installer sur la terrasse couverte à
gauche, mais je distingue de multiples portes sur la droite. Le logement est
très beau et je pense ne jamais en avoir vu de tel. Pour autant, il est bien
difficile d’en estimer la valeur, tant l’économie du Liban me semble de plus en
plus difficile à cerner. Nous imaginons la mer dans la nuit noire de Beyrouth,
juste en dessous de l’immeuble, derrière un terrain de foot sur lequel nous
distinguons des joueurs en action. Joueurs qui nous semblent si petits, qu’ils me
rappellent les statuettes phéniciennes de guerriers exposées au musée national
de Beyrouth. Je vois également les points lumineux en haut des buildings en
aval du notre. Je me rappelle l’arrivée en avion il y a trois semaines. Ces
centaines de lumières que j’admirais d’en-haut. Et je prends conscience du
temps qui est déjà passé, et les aventures déjà vécues. A la fin de la soirée,
après de bons moments à rire et à se triturer les méninges avec des énigmes,
Marc et Karen nous raccompagnent jusqu’en bas de notre appartement. Et nous les
remercions infiniment, en espérant les revoir prochainement.
A l’AUST, il n’est pas évident de
rencontrer du monde avec qui nous serions susceptibles de passer plus de temps après
les cours. Il me semble l’avoir déjà écrit, mais il y a une ambiance un peu
déconcertante au sein du campus et des étudiants. Grosses et belles voitures,
sacs Victoria’s Secret pour mettre les bouteilles d’eau, chirurgies esthétiques
généralisées, impatience dans les couloirs et devant les ascenseurs comme si le
temps était compté et surtout… ho, surtout… arrivées en cours bien longtemps
après les heures officielles de commencement. Débarquer avec trente minutes de
retard ne semble pas poser de problème. Sortir en cours pour répondre à un
appel non plus. Se balader dans la classe. Un matin, la situation m’a semblé particulièrement
comique. Nous sommes parties comme à notre habitude à 7h52 de l’appartement.
Après cinq minutes de marche, nous sommes arrivées devant notre classe à 7h57.
Et là, personne. Nous trouvons cela bizarre. 8h, toujours personne, pas de
professeur, pas d’étudiants. Nous envoyons un message sur le groupe de la
classe pour s’assurer qu’il y ait bien cours aujourd’hui. On nous le confirme
en effet. Or, personne. Nobody. Nadie. Heu… il faut que je cherche le mot en
arabe. Bref, nous demandons dès lors dans quelle classe nous avons
cours, si nous avons cours en effet ! 8h05 passe. Enfin, Nadz, une étudiante
que nous apprécions bien, entre dans la salle, tout autant surprise que nous de
voir la salle si vide. Elle pensait en effet être la plus en retard, après 40
minutes bloquée dans le trafic. Alors qu’elle commence à pousser un coup de
gueule sur le Liban et le manque de vigilance des conducteurs, sur la politique
qui la déprime de plus en plus, sur la crise, le manque d’issues, la nécessité
d’un changement, le professeur entre enfin dans la salle. Il s’agit donc de la
bonne salle, du bon horaire. Mais personne n’en a rien à faire d’être à l’heure.
Là n’est pas le centre des préoccupations. Nadz se tourne vers le professeur,
lui dit à nouveau sa colère, avec un petit rire de fatigue face à la situation,
un air moqueur de dérision, et affirme haut et fort comme si un poids se libérait
de sa poitrine « Si je pouvais tuer tout le monde et ne garder que ma
génération et les plus jeunes, je le ferais sans hésiter. Qu’est-ce qu’ils font
les « adultes » pour notre pays ? Rien, ils le détruisent. Ils n’ont
rien à faire là. On n’a aucun avenir. Je n’ai pas de futur. » [en anglais,
mélangé avec de l’arabe]. Il est 8h10, nous sommes quatre dans la classe et
entamons un débat sur la situation au Liban.
Avec les filles, nous osons peu poser
nos questions, craignant de mettre sur la table des débats trop frais et
controversés. Mais notre professeur de US Foreign Policy semble très impliqué
et ouvert à nos interrogations. J’en profite dès lors pour demander : « comment
cela se fait-il qu’il y ait autant de voitures dans le pays, tandis que l’essence
est si chère ? ». Autrement dit, comment la population en grave crise
économique s’offre-t-elle le luxe d’un véhicule ? Dr. Ibrahim Jouhari nous
répond en trois temps. D’abord, la majorité des familles libanaises a de la
famille à l’étranger. Celle-ci leur envoie de l’argent régulièrement, afin de
subvenir à leurs besoins. Auparavant, les Libanais qui s’expatriaient mettaient
de l’argent de côté pour eux-mêmes . Désormais, l’argent est reversé à la
famille restée sur place. Je ne suis plus sûre du deuxième point, mais il me
semble qu’il évoque le fait que certains salaires soient versés en dollars,
permettant à une part de la population de ne pas perdre au taux de change.
Enfin, le professeur note qu’une diminution du trafic routier a tout de même
été observé ces dernières années. Mais en règle générale, la réponse à cette
interrogation reste un grand mystère.
Nous échangeons librement sur le
sujet jusqu’à 8h30 environ, attendant que les étudiants arrivent petit à petit
(tandis que le cours devait commencer à 8h et finir à 9h15). Le professeur
demande notamment aux étudiants un par un ce qui les pousserait à descendre
dans la rue pour manifester. Nombre d’entres eux évoquent le nom d’une
personnalité libanaise hautement corrompue. Comme une part de la discussion est
en arabe, je n’intercepte pas toutes les informations. Nadz dit « je
descendrais s’il n’y avait toujours pas de président dans deux mois ». Le
professeur lui demande : « pourquoi dans deux mois ? ». A elle
de répliquer « je ne sais pas, j’ai dit une échéance au hasard ». En général,
nous sentons le long épuisement qui s’est installé au sein de la jeunesse
libanaise, l’adaptation, l’acceptation presque, de cette situation dans
laquelle ils sont plongés malgré eux. Tous sont descendus dans les rues fin
2019. Désormais, aucun ne donne vraiment l’impulsion pour manifester de nouveau.
A quoi bon ? Les uns donnent les mêmes réponses que les autres. Ils ont du
mal à savoir ce qui pourrait bien les mobiliser pour de bon. Peut-être ne se
posent-ils plus la question. Un dit « je ne suis pas trop du type à aimer
les manifestations. Et puis, s’il doit vraiment y avoir un changement, ce doit
être avec des armes ». Le professeur se tourne enfin vers nous, étrangères,
pour nous poser la fameuse question. Qu’attendrions-nous pour descendre dans
les rues si nous étions libanaises ? Avant d’entendre nos réponses, il
rigole en se rappelant que les Français non pas besoin de grand-chose pour protester.
Je me dis personnellement qu’il me faudrait attendre de ressentir l’impulsion
chez les autres. Je prendrais difficilement le risque de descendre dans les
rues si je n'avais pas l’assurance que d’autres le feraient avec moi. Et je
pense, hélas, que le problème vient en partie de là au sein de la jeunesse
libanaise. Les années passent et le dégoût de la classe politique s’installe
définitivement. Mais face à ce labyrinthe, ce piège sans issue, la jeunesse ne
sait plus comment réagir, et finit par subir avec consentement ?
Mercredi 1er mars,
nous faisons également la rencontre de deux français, étudiants à Lille et en
échange à l’AUST. Nous pensions n’être que trois, mais les voilà aussi, dans la
filière business et économie. Nous passons une soirée tranquille au sein d’un
bar à Badaro (quartier en bas d’Ashrafieh), après avoir dégusté de très bonnes
pizzas avec les filles. En troisième année de licence et première année de
master, eux n’ont pas vraiment eu le choix de venir au Liban. Le classement se basant
sur les moyennes académiques. Ils ont pourtant l’air de s’y faire. Apparemment,
deux autres étudiants de leur école devaient venir à Beyrouth, mais leurs
parents y ont finalement renoncés. C’est bien dommage… Avec Victoire et
Philippine, ce pays constituait notre premier choix de destination ! Romain
nous propose une soirée vendredi, mais nous la passons avec Marc et ses amis.
Ce soir pourtant, samedi 4 mars, nous pensons les retrouver chez une amie d’Oscar.
Notre emploi du temps se remplit, pour notre plus grand plaisir :))
Offre joie
Cette semaine, nous nous sommes
également rendues pour la première fois dans un quartier réhabilité par l’association
libanaise Offre Joie. Nous souhaitions en effet nous engager auprès d’une
association afin d’utiliser intelligemment notre temps libre. Offre Joie est
une ONG politiquement indépendante et non-confessionnelle fondée en 1985 par
quatre jeunes de la Croix-Rouge aux religions différentes. En plein milieu de
la guerre civile (1975-1990, il me faudrait probablement tenter d’écrire un peu
sur le sujet dans un prochain article), leur souhait était de prôner les
valeurs de l’amour (1), du respect (2) et du pardon (3), encore inscrits en
dessous du logotype d’Offre Joie. Leur mission étant de « rassembler la
famille libanaise en créant une oasis pour les jeunes à travers le Liban en se
mobilisant autour de projets sociaux favorisant l’unité du peuple libanais ».
Depuis le 4 août 2020, la branche
à Beyrouth se concentre essentiellement sur des projets de reconstructions de
logements. Les ouvriers sont à la tâche du lundi au samedi, de 9h à 15h. Les
volontaires se calent sur ces horaires, les jours où ils peuvent. Nous
profitons dès lors de notre mercredi de libre pour nous joindre au projet se
situant à Karantina (au-dessus de Mar Mikhael). 40 minutes de marche et nous y
sommes. Nous rencontrons notamment Cherbel, un jeune volontaire engagé depuis
plusieurs années auprès de l’ONG. Syrien, mais né au Liban. Il nous accueille
au sein du bureau de l’asso, nous fournit des salopettes de travaux. Les
parents de Victoire se moquent d’elle en recevant une photo, considérant qu’elle
ressemble profondément à un Minion avec cette tenue. Cherbel nous présente
Aboud, libanais de Tripoli, et Tangui, français en année de césure au Liban.
Eux deux viennent au chantier tous les jours. Aboud est probablement un peu
payé, mais au taux du pays, c’est-à-dire environ 7€ par jour, comme les
ouvriers. Aujourd’hui, nous sommes chargés de poncer les barrières du bâtiment,
afin de retirer le béton s’y étant accroché, avant de pouvoir les repeindre en
blanc. Une tâche qui me convient bien pour commencer. Bien que nous soyons
concentrés pour bien faire, je profite du temps que l’on a pour entamer la
discussion avec Aboud. Hélas, celui-ci n’est vraiment pas à l’aise en anglais et
l’échange ne va pas très loin. Je suis gênée de ne pas parler arabe. Tangui se déplace
à un poste non loin du mien, nous permettant d’initier la discussion. Cela fait
déjà six mois qu’il est au Liban et il s’y plait plutôt bien. Il a su faire de
belles rencontres, trouver les bonnes adresses. A son retour en France pour les
vacances de Noël, il a vu le décalage évident entre les deux pays. La
superficialité de certaines mœurs françaises. Mais s’il en a beaucoup appris
humainement à Beyrouth, il note cependant l’effet pervers de rester trop
longtemps dans un pays en crise. Constater la pauvreté évidente jour après jour
est décidément le revers de la médaille de son expérience libanaise. Après 3
heures d’effort, il est l’heure de manger. Aboud inscrit sur son téléphone et
google traduction « 12h, manger ». On ne se fait pas prier (bien qu’ils
nous aient déjà fourni des friandises vers 10h30). Nous suivons les garçons
jusqu’à ce qui s’avère être une cantine sociale. Un lieu au milieu du quartier
offrant un millier de repas par jour aux nécessiteux du coin. Offre Joie a la
chance d’en bénéficier également. En attendant nos plats à une table, nous
échangeons avec Tangui et les filles. Je m’excuse auprès de Aboud de ne pas
parler l’arabe. Lui, nous écrit sur google traduction « Je suis très
heureux d’être avec vous ». Il nous propose ensuite à tous les quatre de
venir à Tripoli, sa ville, le dimanche suivant. Nous sautons évidemment sur l’occasion,
bien conscientes que Tripoli n’est pas la ville la plus sure du Liban et qu’être
accompagnées d’un local est une belle opportunité. Le rendez-vous est pris.
Demain matin, dimanche 5 mars 2023, nous prendrons le bus pour nous y rendre !
Puis, alors que nous attendons
toujours notre plat, un quiproquo se crée et j’en rougie encore de gêne en y
pensant. Afin d’intégrer Aboud à nos discussions, je commence à traduire nos
échanges en arabe via google traduction. J’écris à un moment « ça sent
très bon », « رائحته جميلة » (rayihatuh jamila). Alors que je le
tente à voix haute, Tangui me dit « jamila, ça veut pas dire « beau » ? ».
Je lui répond que je souhaitais seulement parler de la nourriture que nous
sentons depuis la cuisine. Or, Aboud prend mon téléphone et écrit « وانت جميل
جدا » (wanat jamilat jidana), « et tu es très très belle ». Je
lève les yeux vers lui et sens une gêne énorme monter en moi. Je me dis, Ho
merde, il a mal compris ma phrase. Moi je voulais seulement dire que ça sentait
bon !! En réalité, je ne sais toujours pas s’il a mal interprété la
traduction ou s’il en a juste profité pour m’écrire ça. Quoi qu’il en soit, je
tente tout l’après-midi de l’éviter un peu, afin qu’il ne se fasse pas trop d’idées
à mon propos.
L’après-midi nous retournons au
chantier, remplissons des brouettes à maintes reprises jusqu’à en avoir fini
avec un tas de pierres. Reprenons le ponçage des barrières. Puis la journée s’achève
tranquillement sur le chantier, comme elle a commencé. Nous retirons nos
salopettes, échangeons une dernière fois avec Cherbel et Aboud, et reprenons le
chemin retour avec Tangui. Nous faisons une pause limonade au coin d’une route.
Nous sommes de retour à la maison vers 17h. Demain, nous avons cours. Car oui,
cela nous arrive parfois d’étudier !
La journée avec Offre Joie fut
une belle première expérience. Nous pensons revenir régulièrement. En attendant,
demain, direction Tripoli.
J’aurais souhaité écrire plus
encore sur cette dernière semaine. En initiant l’écrit du jour, j’avais dressé
une liste de thèmes que je souhaitais aborder. Or cela fait presque trois heures
que j’écris et il me faut désormais prendre le temps de réviser mes cours (nous
avons nos premiers examens dans 10 jours). Je mets donc de côté certains sujets
pour l’instant, mais j’ai bien hâte de les développer dès que possible !
Il me parait en effet important de parler plus en détails de notre vie de tous
les jours, notre quotidien avec les filles au sein de l’appartement, la vie que
nous sommes en train de construire à Beyrouth, les habitudes que nous prenons. Promis,
je prendrai le temps de le faire prochainement !
Dans les jours à venir, nous
avons un bon programme : Souk el Tayeb, Tripoli, la Bekaa, Offre Joie,
etc. Plus le temps de s’ennuyer, la roue tourne et elle tourne du bon côté.
❤.
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